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Faut-il lutter contre le « séparatisme » ou contre le « communautarisme » en France ?
Depuis Mulhouse, Emmanuel Macron a dévoilé, mardi 18 février, les grandes lignes de sa stratégie de « lutte contre le séparatisme islamiste » à moins d’un mois des élections municipales. Des premières mesures ont été annoncées par le chef de l’Etat, qui entend finaliser son plan en avril.
Faut-il lutter contre le « séparatisme » ou contre le « communautarisme » en France ? Le choix sémantique de l’exécutif est définitif (voir encadré plus bas). « Notre ennemi est le séparatisme » mais « il ne s’agit pas de stigmatiser quelque religion », a signifié Emmanuel Macron lors de son discours prononcé mardi 18 février pour clôturer son déplacement à Mulhouse, dans le Haut-Rhin. « Et ce que nous avons à faire n’est pas, comme je l’ai parfois entendu chez certains, un plan contre l’islam. Ce serait une faute profonde », a précisé le chef de l’Etat, dans un souci d’apaisement.
Après ces propos introductifs visant à répondre aux inquiétudes formulées par de nombreux concitoyens de confession musulmane quant aux finalités de son plan, Emmanuel Macron a dévoilé les grandes lignes de sa stratégie de « lutte contre le séparatisme islamiste » qui doit, selon lui, se construire, « autour de quatre lignes de force » : « reprendre le contrôle et lutter contre les influences étrangères, en particulier à l’école et dans les lieux de culte », « favoriser une meilleure organisation du culte musulman en France, dans le respect de la laïcité », « lutter avec détermination contre toutes les manifestations séparatistes et le repli communautariste » et « ramener la République là où elle a démissionné, là où elle n’a pas toujours été au rendez-vous » car « le séparatisme se nourrit de l’absence, dans certains territoires, d’une offre alternative dans le champ social, sportif, périscolaire, sanitaire, culturel ».
La fin définitive des ELCO en 2020
Dans sa lutte contre le « séparatisme », Emmanuel Macron a ainsi annoncé la fin des enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO) pour la rentrée 2020. Ce dispositif, mis en œuvre depuis les années 1970 sur la base d’accords bilatéraux avec neuf pays (Algérie, Croatie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Serbie, Tunisie et Turquie), est remplacé par les enseignements internationaux de langues étrangères (EILE). Dans les faits, la transformation des ELCO en EILE est loin d’être une annonce présidentielle choc puisqu’elle est à l’oeuvre depuis 2016, sous le mandat de François Hollande.
A ce jour, quelque 80 000 élèves à travers la France bénéficient chaque année des ELCO, dispensés dans leurs établissements scolaires par des enseignants en langue envoyés par le pays d’origine. « Il est important que les Français et les Françaises dont les parents ou les grands-parents sont venus dans notre pays puissent préserver, ce qui est une force pour la République, la connaissance de leur culture, des langues de leur famille et la possibilité d’ajouter à la République la culture qui est la leur. Là-dessus, il faut être clair, c’est une chance pour nous tous qu’on puisse apprendre l’arabe, l’espagnol, l’italien, le turc, le russe ou d’autres langues », a souligné Emmanuel Macron.
Cela étant dit, « le problème que nous avons aujourd’hui, c’est que nous avons de plus en plus d’enseignants qui ne parlent pas le français (…) et, je vous le dis en responsabilité comme président de la République, je ne suis pas à l’aise d’avoir, à l’école de la République, des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’Education nationale puisse exercer le moindre contrôle », en particulier sur le programme, a déclaré le président, pour qui il est « indispensable » que les enseignants en question puisse « parler et maîtriser le français », « respecter les lois de la République » et qu’un droit de regard soit exercé sur le contenu de leur programme.
La Turquie dans le viseur de Macron
« Nous avons proposé à l’ensemble des pays concernés de transformer le dispositif ELCO en EILE. Nous avons réussi avec tous ces pays, sauf la Turquie. A ce stade, je ne désespère pas » de conclure un accord, a informé le président.
« Si aucune solution n’est trouvée avec la Turquie, nous mettrons fin aux ELCO et nous construirons avec l’ensemble de nos concitoyens (…) des alternatives pour bâtir une offre périscolaire renouvelée et trouver des enseignants en langue et culture turques, Français. Nous assurerons ces enseignements nous-mêmes parce qu’il est important que tous les Français et les Françaises d’origine turque puissent avoir ces enseignements (…) mais dans un cadre pleinement républicain », a prévenu le chef de l’Etat, qui ne s’est pas privé, lors de son discours, d’attaquer de front la Turquie depuis Mulhouse, dans une région qui compte une forte présence turque. A ses concitoyens d’origine turque, « ils sont à mes yeux pleinement Français. (…) Mais on ne peut pas avoir les lois de la Turquie sur le sol de France », leur adresse-t-il.
La fin progressive des imams détachés
Le chef de l’Etat a ensuite promis des mesures fortes – sans les détailler à ce stade – contre le financement étranger des lieux de culte « pour garantir leur pleine transparence sur les origines et les finalités ».
Emmanuel Macron a, en revanche, annoncé sa volonté ferme de mettre fin au système de détachement des imams, au nombre de 300 aujourd’hui en France venus de l’Algérie, du Maroc et de la Turquie, y compris pendant le mois du Ramadan. Une démarche qui vise à « sortir de l’islam consulaire » et à « réduire les influences étrangères ».
« Le dialogue en la matière avec le Maroc et l’Algérie a été exemplaire », a-t-il souligné, faisant comprendre ainsi que les échanges avec la Turquie, qui fournit le plus gros contingent d’imams détachés, ne sont pas au beau fixe sur le sujet. Emmanuel Macron place ainsi sur la table des priorités le sempiternel sujet de la formation des imams auquel le Conseil français du culte musulman (CFCM) est appelé à se consacrer.
Le CFCM attendu au tournant
« En raison de la loi de 1905 et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’Etat français ne peut pas former, contrôler, désigner des imams sur le territoire de la République mais nous pouvons, dans le dialogue avec le CFCM, demander à celui-ci de s’organiser, de former et de certifier celles et ceux qui prédiquent au nom de l’islam en France », a indiqué Emmanuel Macron.
Du CFCM, « j’attends pour la fin du mois de mars des propositions concrètes » afin de « permettre une police des cultes plus efficace » et de « traquer les dérives face auxquelles nous sommes démunis car il n’y a pas de véritable structuration (de l’islam) en France ». « Nous tirons les conséquences de ce travail avec le CFCM début avril », a-t-il conclu.
« Séparatisme » : les raisons de l’évolution sémantique d’Emmanuel Macron
Le déplacement du chef de l’Etat à Mulhouse a été l’occasion de livrer des explications quant au choix sémantique qui le conduit aujourd’hui à préférer l’emploi du terme « séparatisme » plutôt que « communautarisme ».
« Je ne suis pas à l’aise avec le mot de “communautarisme” car nous pouvons avoir dans la République Française des communautés. Cependant, ces appartenances ne doivent jamais valoir soustraction à la République. Elles sont une forme d’identité en plus, compatibles avec la République. On peut appartenir à une famille de pensée, être attaché à une religion, à des origines étrangères (…) tout en étant pleinement Français et Française dans la nation », a-t-il affirmé.
« Le problème que nous avons, c’est quand, au nom d’une religion ou d’une appartenance, on veut se séparer de la République, ne plus respecter les lois et qu’on menace la possibilité de vivre ensemble en République et qu’on menace les autres de le faire. »