En France, va-t-on avoir une année particulièrement meurtrière ou la plus meurtrière de l’histoire, comme aux Etats-Unis ?
La France est dans une situation différente des Etats-Unis car la France n’a pas connu de croissance démographique très importante durant le XXe siècle, la fécondité diminue et le pays a connu des crises de mortalité très fortes liées aux guerres mondiales. On est monté à près de 800.000 décès lors de certaines années. Les records de mortalité liés aux guerres ne seront pas battus. En France il y a un phénomène structurel, depuis une quinzaine d’années, de montée des décès. En 2004, on a eu 509.429 décès et en 2019, 599.408 donc une augmentation de près de 100.000. Cela s’explique par l’arrivée progressive des générations très nombreuses du baby-boom à un âge avancé. Depuis 2015, le nombre de décès est à son maximum depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 2020, il y avait une hausse prévisible pour des raisons structurelles mais la crise du Covid va accentuer cette hausse. On va avoir environ 40.000 à 50.000 décès supplémentaires, même si on n’a pas encore les chiffres exacts. On va donc avoir un record autour de 640.000 décès, soit un chiffre assez proche des données de 1945. On avait eu 643.899 décès et on peut penser qu’on sera autour de ce chiffre. La tendance structurelle est donc fortement accentuée par la surmortalité due au Covid. Ce qui devrait conduire à une baisse de l’espérance de vie.
L’espérance de vie va donc baisser en 2020 ?
Oui, c’est sûr. Je ne sais pas exactement de combien, peut être d’une demi-année. Ces dernières années elle continuait de progresser. On avait gagné environ deux ans chez les hommes ces dix dernières années, un peu moins chez les femmes. Cette espérance de vie devrait réduire plus fortement chez les hommes apparemment, puisqu’ils ont été plus touchés par les cas graves de Covid.
Y-a-t-il un risque que ces tendances conjoncturelles aient des effets de long-terme ?
Le premier effet c’est que les gens qui sont décédé cette année à cause du Covid et qui n’auraient pas dû décéder, par définition, ne décéderont pas l’année prochaine ou dans deux ans. Si le Covid venait à ne plus être mortel, on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait une sous-mortalité dans les prochaines années, plutôt en 2022. Cela n’est vrai que si l’on parvient à stopper la pandémie. Tant qu’elle sera là, on aura une surmortalité plus ou moins importante. Toutefois, le Covid a tué des personnes qui seraient décédées dans les dix-huit mois qui suivaient, même sans la pandémie, mais il tue aussi des gens qui ne seraient peut-être décédés que dix ans plus tard donc on peut penser que même si la situation améliore, ce pic restera et ne sera pas entièrement lissé. Il sera peut-être atténué en partie.
Par ailleurs, le nombre de décès se rapproche dangereusement du solde de naissance, ça a un impact sur le solde naturel. La croissance démographique de la France est tirée par l’excédent des croissances sur les décès. Un pic de mortalité, parallèlement à une baisse des naissances, sous-entend que la croissance démographique sera en berne en 2020. Toutefois, pour les prochaines années, la tendance à la baisse de la natalité est moins assurée que la hausse des décès, parce que les enfants des années 2000 vont commencer à avoir des enfants. Mais la hausse des décès est portée par les baby-boomers car ils n’ont pas encore atteint l’âge moyen des décès, à 80 ans. On devrait approcher 700.000 bientôt. 2020 va nous paraître exceptionnel en terme de nombre de décès, mais ce nombre sera courant d’ici une dizaine d’années.