La fureur antifrançaise qui s’est emparée du monde arabo-musulman depuis quelques jours semble avoir inspiré les deux attentats islamistes qui ont frappé jeudi la basilique Notre-Dame de Nice et un vigile du consulat français à Djedda, en Arabie saoudite. Par Isabelle Lasserre
La guerre verbale lancée par le président turc islamiste, Recep Tayyip Erdogan, contre Emmanuel Macron, à qui il reproche d’avoir défendu la liberté de caricaturer le prophète Mahomet, et contre la France, dont il a appelé à boycotter les produits, s’est répandue comme une traînée de poudre dans un grand nombre de pays musulmans. Nourrie par une campagne de propagande outrancière du pouvoir turc, qui compare la situation des musulmans de France à celle des juifs avant la Seconde Guerre mondiale, alimentée par des mensonges, comme celui qui prétend que les caricatures ont été projetées sur les bâtiments publics de Paris, elle a provoqué des manifestations et des gestes d’animosité envers le président français.
Au Bangladesh, 40.000 personnes ont participé à une marche organisée par un parti islamiste près de l’ambassade française, où ils ont brûlé une effigie d’Emmanuel Macron. À Bamako, le Haut Conseil islamique du Mali a exigé des «excuses» du président français. Quant à l’ancien premier ministre de Malaisie, il a carrément affirmé sur Twitter que «les musulmans ont le droit de tuer des millions de Français».
Un homme brandit une pancarte lors d’un rassemblement contre la France devant la grande mosquée de Bamako, le 28 octobre. SEYDOU CAMARA/AFP
Quinze jours après la monstrueuse décapitation de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, le plan Vigipirate a été porté au niveau «urgence attentat» partout en France. Paris avait déjà invité ses ressortissants à la prudence dans les pays du monde musulman où sont organisées des manifestations antifrançaises.
Réveil brutal
La France est de longue date l’une des principales cibles du terrorisme islamiste. De tous les pays européens, c’est elle qui a enregistré le plus grand nombre d’attaques, perpétrées ces dernières années contre tous les symboles de la République. À cela de multiples causes: son passé colonial, son attachement à la laïcité, sa loi sur le port du voile, le fait qu’elle abrite la plus grosse communauté musulmane d’Europe, l’échec de son modèle d’intégration, la mainmise des tenants d’un islam radical sur les «quartiers»… Mais aussi son activisme sur la scène internationale et les opérations militaires qu’elle mène ou a mené contre le terrorisme en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Libye et au Mali.
Plus récemment, la volonté du président français de lutter contre le «séparatisme islamiste» et le soutien affiché du pouvoir à la liberté d’expression ont ravivé la flamme antifrançaise des courants radicaux dans le monde musulman.
Longtemps exogène, la menace terroriste qui pèse sur la France est aussi devenue endogène
En 2017, la chute du califat Daech en Irak et en Syrie n’a pas diminué la menace terroriste qui pèse sur la France. Elle en a juste modifié sa nature. Les combattants de Daech, dont la volonté djihadiste est restée intacte, se sont adaptés à la nouvelle donne en retournant dans la clandestinité. Ils se sont disséminés au Moyen-Orient, en Afrique et en Europe, où ils ont contribué à la propagation de l’idéologie islamiste radicale, qui peut pousser des individus au passage à l’acte sans qu’ils soient nécessairement liés à une organisation. Parallèlement, les djihadistes français qui avaient rejoint les rangs de Daech avant d’être arrêtés par la France, ont commencé à sortir de prison en 2020, après avoir purgé leur peine. Si elle a pu contenir un temps la menace, notamment au Mali, la lutte antiterroriste menée par la France au Sahel depuis 2013 n’a pas empêché la diffusion des cellules djihadistes sur le continent africain. Aujourd’hui, les mouvements djihadistes se sont étendus à presque tout le continent. Et ce bilan ne mentionne pas l’Afghanistan, où la lutte antiterroriste menée par les États-Unis depuis 2001, avec l’aide de la communauté internationale, notamment de la France, se solde, vingt ans plus tard, par le retour des talibans et le développement de l’État islamique.
Une marche de protestation contre Emmanuel Macron jeudi, à Lahore. ARIF ALI/AFP
Longtemps exogène, la menace terroriste qui pèse sur la France est aussi devenue endogène. À de nombreuses reprises, les lieux de culte chrétiens ont été visés par les islamistes dans les pays musulmans. Mais aujourd’hui ils sont aussi devenus des cibles en France, comme le rappelle l’attentat à Notre-Dame de Nice. Et comme l’avait déjà montré l’assassinat du père Hamel, égorgé par un djihadiste dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray en 2016.
Le réveil est d’autant plus brutal que les autorités françaises sont longtemps restées aveugles à la menace islamiste intérieure, refusant de la nommer et se réfugiant dans le déni ou la culpabilité, tout en laissant se développer l’influence des puissances étrangères sur les musulmans de France. Après le meurtre de Samuel Paty, cette nouvelle secousse a provoqué des réactions outragées. «Il est temps que la France s’exonère des lois de la paix pour anéantir définitivement l’islamo-fascisme de notre territoire», a affirmé Christian Estrosi, le maire de Nice. Elle a aussi suscité des commentaires indignés en Europe. Comme celui de Giuseppe Conte, le premier ministre italien. «La vile attaque qui s’est produite à Nice n’ébranle pas le front commun en défense des valeurs de liberté et de paix. Nos certitudes sont plus fortes que le fanatisme, la haine et la terreur», a-t-il écrit sur Twitter.
Manque d’alliés
Pourtant, dans son combat contre le terrorisme islamiste, la France a toujours manqué d’alliés. Si de nombreux pays européens ont fini par la rejoindre au Sahel, peu ont les moyens militaires de faire la guerre au terrorisme. L’allié naturel de la France, la Grande-Bretagne, s’est mis en retrait avec le Brexit. Les pays d’Europe centrale et orientale sont plus sensibles au danger russe qu’à la menace terroriste. Les États-Unis, qui ne se sentent plus vraiment visés par le terrorisme islamiste, ont déserté le Moyen-Orient. Quant aux alliés de l’Otan et de l’Union européenne, ils hésitent à sanctionner la Turquie d’Erdogan, parce qu’elle est un pilier de l’Alliance ou parce qu’ils redoutent son chantage migratoire.
Alors que de tout le monde musulman émanent des appels à s’en prendre à la France, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a lancé un «message de paix au monde musulman», soulignant que la France était le «pays de la tolérance», pas du «mépris ou du rejet». «N’écoutez pas les voix qui cherchent à attiser la défiance. Ne nous laissons pas enfermer dans les outrances d’une minorité de manipulateurs», a-t-il déclaré à l’Assemblée nationale.