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Les djihadistes intensifient leurs attaques, profitant du retrait des forces de la coalition en raison de la pandémie.
Donald Trump a beau annoncer la fin de l’organisation État islamique (EI), le monde n’en a pas fini avec le groupe djihadiste. Près d’un an après la chute de Baghouz, le dernier réduit appartenant à l’EI en Syrie, les soldats du califat représentent toujours un « risque significatif » pour les 500 forces américaines encore présentes sur place. Voilà le constat dressé par Sean O’Donnel, inspecteur général du Pentagone, à l’occasion de la publication du rapport trimestriel de la coalition internationale antidjihadiste en Syrie et en Irak. D’après le responsable américain, la menace proviendrait avant tout des prisonniers djihadistes détenus dans des prisons du nord-est de la Syrie par les Forces démocratiques syriennes (SDF) à dominante kurde, ainsi que des familles de combattants rassemblées dans des camps de déplacés dans la même région.
Il y a une semaine à peine, le Centre d’analyse du terrorisme (CAT), révélait que 13 femmes djihadistes de nationalité française s’étaient évadées des camps d’al-Hol et d’Aïn Hissa, parmi lesquelles Hayat Boumeddienne, la femme d’Amedy Coulibaly, l’auteur de la prise d’otages de l’Hyper Cacher de Paris, en janvier 2015, qui avait fait cinq morts (trois clients, un employé, le terroriste). « Treize femmes, soit 10 % des djihadistes françaises, qui n’ont en rien renoncé à leur idéologie se retrouvent aujourd’hui dans la nature », souligne Jean-Charles-Brisard le président du CAT, qui dénombre au total 120 Françaises détenues en Syrie. « Ces évadées ne bénéficient pas de réseaux organisés d’exfiltration, mais individuels et familiaux, ajoute-t-il. Elles bénéficient du fait que les autorités kurdes se montrent incapables d’assurer la sécurité de ces camps, qui sont en réalité des enceintes à ciel ouvert où les prisonniers ne font qu’attendre. »
Au total, près de 100 000 déplacés sont regroupés dans une dizaine de camps situés dans le nord-est de la Syrie, dont 12 000 étrangers – 4 000 femmes et 8 000 enfants – membres de familles de djihadistes. Quant aux prisonniers, ils sont environ 12 000 djihadistes, dont 2 500 à 3 000 étrangers (parmi lesquels 60 Français), répartis dans une vingtaine de prisons. Dans un message vidéo rendu public en septembre 2019, soit un mois avant sa mort, Abou Bakr Al-Baghdadi, l’ex-leader de Daesh appelait ses partisans à « forcer les murailles des prisons » pour les libérer. Un mois plus tard, une centaine de détenus djihadistes profitaient du chaos provoqué par l’intervention de la Turquie contre les SDF pour s’évader.
“Le risque de dispersion des détenus, dont certains souhaitent rentrer clandestinement en France, est aujourd’hui devenu une réalité », souligne Jean-Charles Brisard.
Pour l’heure, la France refuse de rapatrier ses prisonniers, n’acceptant le retour « au cas par cas » que de quelques enfants isolés ou orphelins (ils sont au total plus de 250 enfants français emprisonnés en Syrie, NDLR). Face à une opinion publique majoritairement hostile au retour des djihadistes français, Paris a opté en janvier 2019 pour le discret transfert de 11 combattants de l’EI en Irak, où ils ont été condamnés à mort par la justice irakienne. Depuis, Bagdad n’accepte plus aucun prisonnier français. Quant aux forces kurdes de Syrie, face au refus des chancelleries occidentales de prendre en charge leurs ressortissants, elles se sont résolues à l’idée de les juger sur place.
Or la situation à l’intérieur des camps est d’autant plus critique que les conditions sanitaires, déjà sommaires, s’y sont brutalement dégradées après que le principal axe d’acheminement de l’aide humanitaire à la frontière irako-syrienne a été coupé au mois de janvier, la Russie s’étant opposée au renouvellement d’une résolution de l’ONU l’autorisant. Depuis, au moins deux mutineries ont éclaté en mars et en mai dans la prison de Ghouiran, qui abrite 5 000 prisonniers dans la ville de Hassaké. D’après le rapport trimestriel de la coalition internationale anti-EI, il existe aujourd’hui un « risque d’évasion massive » des détenus djihadistes.
Mais la menace Daech s’exerce d’ores et déjà à l’extérieur des prisons. Profitant de la pandémie de Covid-19, l’organisation djihadiste a sensiblement accru ses attentats sur les territoires syrien et irakien, où elle avait autrefois proclamé son « califat ». En Syrie, le groupe, qui possède toujours des cellules dans le vaste désert situé entre les provinces de Homs (ouest) de Deir ez-Zor (est), serait responsable d’au moins 33 attaques à l’engin explosif improvisé (IED), selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. Survenues dans le nord et l’est du pays, elles étaient principalement dirigées contre l’armée syrienne et les forces kurdes. Or ces dernières ont suspendu leurs opérations contre l’EI pour se concentrer sur la lutte contre le coronavirus, indique le rapport américain. Officiellement, le nord-est de la Syrie a été relativement épargné par le virus, qui n’aurait fait qu’une poignée de victimes.
Les attaques de Daech se sont également multipliées depuis le mois d’avril dans l’Irak voisin. Explosions d’IED en bord de route, tirs contre des convois de police, de soldats irakiens ou de miliciens chiites, et assassinat de représentants de l’État, les djihadistes ont frappé dans les provinces de Salaheddine, de Kirkouk, et de Diyala, au nord de Bagdad. « Nous assistons à un changement au niveau qualitatif des attaques menées par l’EI en Irak », explique Sam Heller, analyste indépendant conseiller à l’International Crisis Group. « Alors que le groupe privilégiait auparavant le combat asymétrique, il est désormais également engagé dans des attaques plus soutenues et directes contre les forces de sécurité irakiennes. »
James Jeffrey, l’envoyé spécial des États-Unis pour la coalition internationale contre Daech, affirme que le groupe djihadiste reste une menace en tant qu’ organisation « terroriste insurgée, avec quelque 14 000 à 18 000 terroristes entre la Syrie et l’Irak ». Mais le commandement central américain l’assure : Daech n’est « pas de retour ». Réfugiés dans les vastes provinces désertiques d’Al-Anbar et de Ninive, à la frontière avec la Syrie, les soldats du califat profitent clairement du vide sécuritaire créé par la pandémie, qui a fait au moins 169 morts en Irak : les forces irakiennes sont davantage occupées à la mise en œuvre du confinement, et les troupes de la coalition internationale anti-Daech se sont tout bonnement retirées du pays.
« Le départ de formateurs de la coalition internationale n’aura pas d’effet à court terme sur la lutte contre l’EI », souligne toutefois Sam Heller. « Mais il n’est pas impossible que les djihadistes aient pris leur décision en se basant sur cette nouvelle donne. » Le 19 mars, dans un édito intitulé « Le pire cauchemar des Croisés » et publié dans sa newsletter hebdomadaire Al-Naba, Daech a invité ses partisans à profiter de la pandémie pour frapper l’ennemi.