Le président de la République annonce périodiquement se préoccuper de la question du « communautarisme », ou du « séparatisme », mais il est contredit tout aussi régulièrement par les prises de parole de certains députés comme Aurélien Taché en octobre 2019 sur le voile ou encore par la garde des Sceaux Nicole Belloubet début février ouvrant la voie au délit de blasphème. Parmi les militants laïques, on redoute ainsi désormais davantage qu’on ne l’espère, un hypothétique « grand discours sur la laïcité » de la part du Président. Lorsque tout récemment, l’entourage d’Emmanuel Macron laisse entendre que celui-ci souhaiterait « replacer le CFCM au centre » (Conseil français du culte musulman) de la lutte contre l’islamisme, on ne peut que s’interroger sur le sens de cette décision.

S’agirait-il d’une réorientation de sa position après avoir été tenté par la proposition formulée par l’AMIF (Association des musulmans pour un islam de France) de Hakim El Karoui ? Ou une nouvelle stratégie pour mettre en œuvre cet islam DE France, sous couvert d’une structure déjà existante organisant plus mal que bien, le culte des musulmans EN France ? La nuance est plus que purement sémantique en effet, entre « islam DE France «  et « islam EN France ». Il s’agit là, derrière les mots, de la distinction importante entre une conception concordataire et une conception laïque de la relation entre l’État et l’exercice des cultes religieux sur le territoire national. La version concordataire d’un islam DE France distinguerait et construirait une communauté de croyants séparée, à l’intérieur de la nation. Ses membres seraient des « Musulmans français » plutôt que des « Français musulmans » c’est-à-dire que la religion primerait en quelque sorte, sur la nationalité.

Prendre pour modèle juifs et protestants ?

Certes, face à la concurrence actuelle des obédiences musulmanes étrangères (l’Algérie, le Maroc et la Turquie notamment se disputant l’influence voire l’emprise sur les musulmans en France), il peut être tentant d’avoir recours à une relation concordataire qui suppose que l’État prenne en charge au moins partiellement, les besoins essentiels de ce culte « national » (financement, entretien de ses édifices religieux, formation et rémunération de ses officiers). Mais le concordat permet également à l’État d’accorder des droits spécifiques, dérogatoires à la loi commune, aux membres de la « communauté religieuse » instituée et reconnue comme telle par l’institutionnalisation d’une instance religieuse à qui est déléguée en retour la gestion d’une partie de la société nationale. Si la relation concordataire semble donner prise à l’État sur la religion, elle revient en fait à étendre le périmètre de la loi religieuse bien au-delà de la sphère privée.

Un concordat réduit donc les limites que posent à l’exercice d’une croyance relevant de la vie privée et de la liberté individuelle, les principes et les lois garantissant pour tous la liberté de conscience et l’égalité des droits entre individus indépendant de leur sexe, de leur origine, de leur statut social, etc… Or un malentendu est souvent entretenu à ce propos : puisque qu’il existe déjà des Consistoires (protestant et juif) et qu’il existe des relations entre l’épiscopat catholique et l’État, pourquoi pas le même statut pour la religion musulmane ? Mais c’est méconnaître la situation actuelle de la relation entre ces religions et l’État, notamment pour ce qui concerne les cultes juif et protestant.

Si les Consistoires, ont bien été créés dans un cadre concordataire (1559 pour le système presbytéro-synodal des églises réformées françaises, 1807 et 1830 pour le Consistoire juif), aujourd’hui, depuis la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, ils sont sortis de ce cadre. Les Consistoires ont changé de statut et sont devenus des associations de citoyens, régies par la loi de 1901. Ainsi par exemple, c’est en vertu de la nature associative du Consistoire juif national, qu’en juin 2016, Evelyne Gougenheim, a pu faire reconnaître la validité de sa candidature à la présidence de cette instance. Le grand rabbin de France, Haïm Korsia a en effet clos la discussion en arguant du statut juridique « d’association loi 1901 » du Consistoire, pour affirmer contre les tenants de l’exclusion des femmes des charges religieuses et communautaires, que la loi de la République sur l’égalité hommes/femmes y prévalait sur la loi religieuse juive, la halakha, quelle que soit l’interprétation conservatrice ou libérale de celle-ci.

Alors, que le président de la République veuille revitaliser le CFCM pour favoriser l’intégration de la religion musulmane dans le cadre républicain à la manière des trois autres cultes déjà organisés en France, peut être une bonne chose. Formellement en effet, le CFCM est lui aussi une association de type « loi de 1901 » qui garantit en principe que la loi de la République prime sur la loi religieuse en matière de garantie du respect de l’intégrité physique et morale des personnes, de leur liberté de conscience et d’expression, ainsi que de l’égalité entre elles.

Mais à cet égard, on est en droit d’avoir quelque inquiétude, puisque l’association du CFCM s’est en fait inaugurée dans le refus d’acquiescer à un principe laïque essentiel, à savoir le droit à l’apostasie (abandon ou changement de religion). Malgré son attachement à cette clause, Jean-Pierre Chevènement a en effet été conduit à l’abandonner en 2000 après un an de négociation avec les représentants des différentes associations de Musulmans en France, notamment la FNMF, la Grande Mosquée de Paris, l’UOIF et le CCMTF (associations qui manifestement ne satisfont pas d’ailleurs elles-mêmes à cette condition minimale, sans que les autorités politiques ne s’en émeuvent davantage). Et le CFCM a donc vu le jour en 2003 tandis que Nicolas Sarkozy était ministre de l’Intérieur et des cultes, sans que ce dernier ne revienne lui non plus, sur cette question.

Les Français reculent devant l’offensive islamiste

Or, cette entorse aux principes laïques de la part du CFCM, constitue le symbole des renoncements successifs de la République à ses principes, face aux exigences fondamentalistes explicites, aux pressions souterraines des islamistes de tout poil, et jusqu’aux actes terroristes qu’ils organisent directement ou induisent contre la liberté de la presse, contre des personnes juives, des représentants de l’Etat, des lieux de cultes ou des cimetières juifs et chrétiens. Des collégiennes voilées de Creil en 1989, aux récentes déclarations à Sud Radio, de Abdallah Zekri, délégué général du CFCM (!) justifiant les persécutions dont est victime la jeune Mila, en passant par les revendications de lieux de prière sur les lieux de travail, les « mamans voilées » accompagnatrices des sorties scolaires ou les menus hallal dans les cantines, c’est la reconnaissance de la charia comme élément du droit français qui est en jeu, et plus généralement, l’islamisation progressive de nos sociétés.

Plutôt que d’imaginer de nouvelles contorsions pour légitimer un islam qui refuserait de se réformer pour se conformer aux lois de la République et libérer ses fidèles d’une orthodoxie étouffante, il est plus que temps de mettre un coup d’arrêt aux concessions faites en paroles et en actes à l’islamisme. Même s’il n’est pas question hélas, de s’attendre à ce que dans toutes les mosquées de France, les prêches commencent par une exhorte aux musulmans pour qu’ils respectent les lois de la République avant la loi religieuse, au moins le CFCM nouveau devra-t-il renoncer clairement au délit de blasphème et aux fatwas de tous ordres. En espérant que ce point somme toute symbolique, soit le départ d’une reconquête du terrain perdu sur l’offensive islamiste.