Par Cheikh Omar Dourmane
Imam, Président de France Fatwa,
professeur de sciences islamique à la Faculté des Sciences Islamiques de Paris
Des valeurs partagées
L’histoire de l’humanité est en constante évolution, elle peut tout autant servir ses intérêts que les desservir.
« […] Dieu propose des paraboles pour bien établir la différence qui existe entre vrai et le faux. Ainsi l’écume s’en va, rejetée, tandis que ce qui est utile aux hommes demeure sur terre » (Q. 13:17)
Cette parabole compare l’erreur aux impuretés que charrie un torrent, formant une inutile écume que le flot rejette sur la rive, laissant sur le lit l’eau pure de la Vérité, seule utile aux hommes.
L’humanité dans toute sa diversité ethnique et religieuse, est en permanence partagée entre le bien et le mal, car l’être humain possède a la fois une attirance vers la justice, ce qui le pousse à être bon et utile pour la société et un néfaste penchant qui l’entraîne vers l’injustice.
Considérons les grandes périodes de l’Histoire de l’humanité. Nous y retrouverons alternativement ces deux penchants : le bien et le mal. C’est par exemple le cas de la Révolution Française, qui nous a laissé en héritage des principes auxquels tout être humain sage et sain d’esprit ne peut qu’adhérer, en particulier cette valeur républicaine du respect des autres qui assure la dignité de toutes et de tous.
Ces valeurs, ce sont aussi celles de l’Islam, qui nous commande de traiter tous nos semblables avec autant de considération : « Ne donnez pas aux gens moins que leur dû, ne commettez pas de désordre, ne pratiquez pas la corruption » (Coran 26,183). D’une culture à l’autre, les termes peuvent être différents, mais les valeurs sont les mêmes. Et les valeurs que nous transmettent l’Islam sont aussi celles de la sagesse, de la dignité, et du bien vivre ensemble.
C’est la raison pour laquelle nous devons faire preuve d’équité, de prudence, de bienveillance quand nous portons notre regard sur d’autres peuples, d’autres civilisations, d’autres cultures. Cela s’appelle simplement la Justice. « Au jour de la Résurrection. Nous placerons des balances parfaitement équilibrées, de façon à ce que nulle âme ne soit lésée, ne fut-ce que du poids d’un grain de moutarde » (Coran 21,47)
Le mot « balances » est ici utilisé au pluriel pour indiquer que le musulman se doit d’avoir plusieurs angles d’appréciation afin de porter un jugement impartial qui englobe la totalité de la réalité.
La Révolution Française marqué l’Europe du sceau de ses trois valeurs fondamentales : Liberté, Égalité, Fraternité . Dans cet article, nous essaierons de démontrer la compatibilité, et même la concordance des valeurs républicaines et islamiques.
Aujourd’hui en effet, le gouvernement français, selon les propos même du Président Emmanuel Macron, accuse l’islam d’être incompatible avec les valeurs de la République (liberté, égalité, fraternité). En somme, selon le Président de la République, l’islam, et les Français musulmans, seraient incapables de s’adapter aux principes de la Révolution Française, sur lesquels se fonde notre « contrat social ». Il s’agirait pour lui d’un problème civilisationnel.
Bien sûr, certains pays « musulmans » ne donnent pas le bon exemple d’application de ces principes. En ce sens, et même si certains pays se disant « républicains », ne sont guère plus exemplaires, il faut reconnaître que ces critiques sont hélas parfois justifiées sur le terrain. Elles ne le sont pas en revanche en termes de perspective religieuse. Et s’il est juste de montrer du doigt ceux qui n’appliquent pas dans les faits les principes dont ils se réclament, il est injuste et offensant pour les musulmans d’entendre le Président de la République française en attribuer la faute à l’Islam lui-même.
Quels sont donc ces principes, héritages concordants de l’Islam et de la révolution Française ?
Le Principe de liberté
La problématique de la liberté est aussi ancienne que le débat sur la notion de « destin » qui a ouvert un vaste champ de discussion entre les philosophes musulmans.
La notion de Liberté est liée de façon sine qua non à celle de responsabilité, qui réside dans le choix de tout être humain.
La liberté dans la vision islamique est une nécessité, ontologique à l’être humain. Chacun doit avoir la possibilité de l’exercer, et la société le devoir de la garantir. C’est également une des caractéristiques des droits de l’Homme en Islam, qui fait partie des « Maqassid », les 6 grandes finalités de l’Islam1 .
L’une des finalités de l’islam est de permettre de traduire dans la réalité cette notion de liberté et de libérer l’humain de toute forme d’esclavage.
Le deuxième calife, Umar b. Al-Khattâb (584 – 644 ap. J.-C) a lancé son mot célèbre : « Depuis quand asservissez-vous les gens, alors que leurs mères les ont mis au monde libres ! ». Pour le calife Umar b. Al-Khattâb, la liberté est la capacité d’un individu à se comporter tel qu’il le souhaite, en dehors de toute contrainte.
Le savant ʿAlāl Al-Fāsī (1910-1974) a défini ainsi la Liberté : « La liberté islamique est une réglementation juridique conforme à la nature et à la conscience humaines ». C’est-à-dire, qu’il s’agit d’une disposition naturelle et instinctive, mais qu’elle doit être aussi une liberté responsable.
Parmi les grandes périodes qui ont marqué l’histoire de l’Islam dans le domaine des libertés religieuses, figure ce qui s’est produit dans la ville de Tawāt, au Sahara algérien, lorsque l’imam Al-Assnuni (m. 1520) a été interrogé au sujet des synagogues de la ville. Était-il permis de les conserver et d’assurer leur préservation ? Al Assuni répondit que les juifs étant considérés comme des « concitoyens » dans la religion, ils avaient le droit de jouir pleinement de leur liberté de culte et de conscience, et que celle-ci était garantie par l’Islam.
Le Principe d’égalité
L’un des aspects les plus importantes du principe d’égalité est l’égalité devant la justice. Cette question fut au centre des préoccupation de nombreux penseurs et philosophes, comme Platon, avec son livre La République. Mais malgré leurs magnifiques écrits, la question est malheureusement toujours d’actualité.
Les textes islamiques se sont naturellement également emparé de la question, et ont appelé chaque musulmane et chaque musulman à y prêter une attention particulière.
Le Prophète a dit : « Aucun d’entre vous ne sera véritablement croyant jusqu’à ce qu’il aime pour son frère ce qu’il aime pour lui-même ». [Bukhari et Muslim, Riyad as-salihin n°183]
D’après Ibn Attia al-Shabarkhiti (m1686) , la fraternité mentionnée dans l’Islam inclut toute l’humanité, qu’il s’agisse de musulmans ou non.
À cet effet, le musulman doit désirer pour son frère humain ce qu’il désire comme bien pour lui-même. La foi du musulman est proportionnelle à l’amour qu’il éprouve pour son prochain, même si ce dernier ne partage ses convictions profondes.
La Prophète appliquait la même justice, à tous, y compris à ses proches, en toute impartialité, et sans favoritisme. Le Coran nous impose d’exercer la justice, non seulement envers les proches et les êtres chers, mais aussi envers nous-même, dès lors que nous nous rendons coupable d’injustice.
« Ô les croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Dieu l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos pères et mères ou proches parents. (3:135) «
La Sourate 4 verset 105, évoque une histoire dans laquelle Dieu donne justice à un citoyen médinois de confession juive accusé injustement de vol.
« Nous t’avons révélé le Coran, ce Message de vérité, afin que tu puisses juger entre les hommes d’après ce que Dieu t’a enseigné. Ne prends donc jamais sur toi de défendre des scélérats»
Al-Tabari (m. 923) a déclaré que ce passage « Ne prends donc jamais sur toi de défendre des scélérats»signifiait notamment « Ne sois pas injuste vis-à-vis d’un citoyen non-musulman au dépens d’un citoyen musulman ».
« Et implore le pardon de Dieu, car Dieu est certes Pardonneur et Miséricordieux. » (3:106)
La justice est notre priorité, et nous prions avec force pour qu’elle se réalise au quotidien dans le but d’atteindre la plénitude sociale.
Le principe de fraternité
Ce noble principe que l’on appelle « fraternité humaine » est étroitement lié à la croyance, et les convictions ancrées dans chacun entre nous.
Puisque cette spécificité est une spécificité morale, comment peut-on adopter ce principe noble lorsque on est dépourvu de textes religieux. ?
La fraternité entre les gens n’est possible que si Dieu a créé l’Homme. C’est une qualité morale inhérente à la dignité humaine, comme une qualité inaliénable de la personne humaine… « Si vous n’admettez pas la spiritualité de l’homme vous perdez la base réelle de la fraternité. » L’Islam entre l’Est et L’ouest – Alija Izetbogovic
Il s’agit naturellement de la fraternité qui englobe la totalité de l’humanité, sans tenir compte de la race, de la couleur ou de sa religion.
Dans ce monde dominé par l’esprit consumériste, nous sommes devenu essentiellement matérialiste. Et en ce sens, la matière est devenue pour l’homme la valeur ultime, qu’il cherche à atteindre de toutes les manières possibles.
Le Coran ne cesse de nous rappeler la valeur de la fraternité humaine.
« O hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un être, et qui, ayant tiré de celui-ci son épouse, fit naitre de ce couple tant d’êtres humains, homme et femme! Craignez Dieu au nom duquel vous vous demandez mutuelle assistance ! Respectez les liens du sang. En vérité Dieu vous observe en permanence » (4:1)
Al-Tabari( 839-m.923) dans son exégèse voit dans cette fraternité humaine une vérité islamique et une valeur à faire vivre pour rapprocher les hommes. Ce qui les engage fermement à chercher en permanence à resserrer les liens qui les unissent.
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(1) Les 6 finalités suprêmes de l’Islam sont les principes qui guident les différentes prescriptions juridiques (Charia). Ce sont :
- La préservation de la vie humaine
- La préservation de la raison humaine
- La préservation des religions
- La préservation des biens
- La préservation des libertés
- La préservation de la famille.
Elles induisent les 6 finalités sociales de l’Islam :
- L’équité et la justice
- La fraternité
- La solidarité
- La liberté
- La dignité