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La laïcité ne peut être aimée, si l’on n’a pas rendu aimable le pays qui l’a inventée
Dans une École devenue un désert des cœurs et des esprits, l’islamisme radical peut prospérer. Contre le séparatisme, il faut faire de nouveau aimer la France. Il n’y a pas de hasard si l’islamisme radical prospère à l’école. Par Corinne Berger
“Le plus beau métier du monde”, film de Gérard Lauzier (1996) © NANA PRODUCTIONS/SIPA Numéro de reportage: 00437842_000003.
Seuls s’étonnent ceux qui veulent bien s’étonner. L’assassinat de Samuel Paty est ignoble et choquant, notamment par son mode opératoire d’une spectaculaire abjection, mais il est la suite logique des nombreux autres meurtres, tout aussi scandaleux, qui nous frappent depuis une décennie. Des Juifs ont été tués – et parmi eux des enfants –, des policiers ont été tués, des journalistes ont été tués, un prêtre a été tué, des Français ont été tués, lors d’attentats de plus ou moins grande envergure qui ponctuent désormais couramment la triste actualité des dix dernières années. C’est aujourd’hui un enseignant qui est tombé. Et demain ? Un maire, un responsable politique ? Un boucher qui vend du porc, quelqu’un qui lit Voltaire sur un banc public, une fille qui s’habille trop court, quelqu’un qui allume une cigarette sur un trottoir pendant le ramadan ? L’islamisme, lorsqu’il ne rencontre pas d’obstacles, n’a aucune limite dans son projet de conquête sociale et politique. Et ses thuriféraires ont bien compris que la stratégie du chantage et de l’intimidation, comme dans tous les totalitarismes, paralyse la riposte. Que dire de cette France de 2020 où on peut massacrer au nom de l’islam sans rencontrer de réponse à la hauteur des faits ? Qu’ont pu penser, lors du massacre de la rédaction de Charlie en 2015, les journalistes algériens réfugiés ici dans les années 90, dont les confrères avaient été tués par les islamistes et qui subissaient eux-mêmes les menaces de mort du GIA ? Je connais bien l’un de ces journalistes d’Alger, qui a fui la terreur de son pays pour retrouver aujourd’hui, avec un immense chagrin, ses promoteurs sur le sol français.
Des années de propagande anti-raciste ont amené à faire passer la critique légitime d’une religion pour l’expression d’un racisme coupable
La naïveté, le déni, la complaisance et la lâcheté ont permis d’en arriver là. Beaucoup d’hommes politiques, de journalistes et de citoyens sont comptables du désastre, plus zélés à pourchasser et diaboliser ceux qui, depuis longtemps déjà, pointent avec une courageuse ténacité les dangers de l’islamisme, qu’à œuvrer à la dénonciation et à la défaite d’un ennemi mortel. Plutôt que de faire le jeu de qui-vous-savez, il valait mieux détourner les yeux et laisser l’islam radical gagner tous les terrains, quitte à supporter de temps en temps quelques morts, comme un tribut dont se nourrit la bête immonde et qu’on semble bien vite oublier après les célébrations d’usage. Chamfort l’écrivait en son temps : en France, « on laisse en repos ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin » . Aujourd’hui, trois jours après l’assassinat de Samuel Paty, certains osent crier à la récupération politique. Au mépris d’une réalité pourtant obstinée, leur priorité est de condamner, non pas les attentats et l’idéologie qui les sous-tend, mais ce qu’ils nomment la fachosphère, accusée de dénoncer un ennemi fantasmé et d’hystériser le débat. On croit rêver.
⅓ des professeurs dans l’autocensure
Le déni et la lâcheté, on les trouve aussi au sein de l’institution scolaire aujourd’hui directement touchée. Tout le monde semble redécouvrir le rapport Obin de 2004, dans lequel un inspecteur général de l’Éducation nationale recensait les nombreux manquements à la laïcité liés à la foi, rapport qu’on s’est empressé d’enterrer : Jean-Pierre Obin y relevait pourtant le refus de certains élèves, lors de sorties scolaires, de pénétrer dans les églises, même transformées en musées, le refus de tracer le signe « plus » en mathématique, trop proche de la croix chrétienne, le rejet de l’enseignement de la Shoah, le rejet de l’étude des auteurs des Lumières, le rejet de la théorie de l’évolution, et j’en passe. Les Territoires perdus de la République ne disaient pas autre chose en 2002, pointant notamment dans les écoles de banlieue l’antisémitisme grandissant et la haine de la France, mais on a préféré dire des auteurs de l’ouvrage qu’ils étaient dans l’exagération et donnaient dans l’islamophobie. Récemment, on apprenait que des parents refusent la lecture en classe de maternelle de l’histoire des Trois petits cochons , ou encore que des enfants de trois ans, chaque année à la rentrée de septembre, par un réflexe acquis dans la sphère familiale, se bouchent les oreilles lorsqu’on diffuse de la musique… Jean-Pierre Obin a récemment souligné que Daesh appelait dans une publication de 2015 à prendre pour cibles les fonctionnaires de l’Éducation nationale, accusés de dispenser des enseignements condamnables. Il est clair que les choses se sont aggravées en quinze ans et que, l’institution ayant fermé les yeux sur ces enquêtes de terrain pourtant très documentées, environ un tiers des professeurs, d’après un récent sondage, et davantage encore dans les zones classées REP, s’autocensurerait pour éviter les problèmes. Le nombre des manquements à la laïcité et des entraves à la liberté d’enseigner, dont Jean-Michel Blanquer se félicite de le voir stagner ces dernières années, ne permettrait pas un si bel optimisme si les enseignants s’autorisaient à traiter tous les sujets du programme sans précautions particulières… Dans certains endroits, il ne s’agit pas seulement de contenus d’enseignement, mais aussi de tenues vestimentaires : je me souviens d’une amie exerçant il y a vingt ans à Villejuif, qui me racontait avoir reçu des crachats dans le dos dans les couloirs de son établissement. Il faut dire que cette effrontée avait l’audace de s’habiller souvent en jupe. Pour résoudre le problème, son supérieur hiérarchique l’avait convoquée pour lui demander d’adapter son vêtement à la sensibilité des populations locales. Petit exemple de soumission ordinaire.
L’assassinat d’un professeur au nom de l’islam sera-t-il suffisant pour ouvrir les yeux dans le corps enseignant ? Je n’en suis même pas sûre, au vu de l’idéologie dominante dans la corporation. Je suis depuis plusieurs années effarée par le déni et le relativisme de nombreux collègues lorsqu’il est question d’islamisme. À vrai dire, on en parle très peu en salle des profs, ou entre deux portes avec quelques collègues triés sur le volet : évoquer la question peut au mieux paraître incongru – quelle étrange préoccupation ! –, au pire rendre suspect de fascisme le plus humaniste des individus. Un échange avec un collègue de classes préparatoires, il y a plusieurs années, me semble un cas d’école, si je puis dire : pour faire bref et donner un aperçu de la vision de quelqu’un qui se dit avant tout « citoyen du monde », l’islam ne pose pas de problème en France, la plupart des musulmans sont modérés, le voile est un choix individuel qui ne dérange personne, et s’il y a quelques attentats de ci de là, c’est l’expression d’une révolte sociale somme toute bien légitime ou le fait de déséquilibrés. Renvoyons aussi dos à dos les violences de l’islam et du catholicisme, et le tour sera complet. C’est en fait la doxa de toute une frange de la population, surreprésentée chez les profs, pour qui le patriotisme équivaut peu ou prou au fascisme, pour qui la France ne signifie pas grand-chose en dehors des droits de l’homme et du confort matériel – et chacun peut bien penser et agir comme il l’entend du moment que son petit bonheur n’est pas menacé –, et qui se cache à elle-même sa logique purement individualiste sous les apparences généreuses de l’ouverture à toutes les différences. Évidemment, cette négation de l’identité de la France (et de l’Europe en tant que civilisation) est exactement celle des libéraux, Macron en tête, qui pensent les hommes comme des entités interchangeables dans un vaste monde dédié à la consommation. Là-dessus, on rachète son confort petit-bourgeois et sa mauvaise conscience de classe en réduisant les musulmans à des opprimés, victimes de l’exploitation et des discriminations systémiques, et par là dédouanés de la violence convulsive de certains d’entre eux. J’ai souvent entendu des professeurs après un attentat islamiste incriminer non pas la religion au nom de laquelle il était commis, mais la ghettoïsation des quartiers difficiles – alors même que tous les terroristes n’appartiennent pas aux classes les plus défavorisées –, par un tropisme de gauche qui appelle bien souvent l’excuse sociale. Edwy Plenel, référence d’une part non négligeable du corps enseignant, ne faisait-il pas pleurer en 2015 sur « l’enfance malheureuse des frères Kouachi » ? Et que dire du scandaleux amalgame, établi par le même Plenel et La France insoumise, entre le sort fait aux musulmans aujourd’hui en France et le traitement réservé aux Juifs dans les années trente ? Cette gauche qui infuse dans la corporation, alors même qu’elle s’est construite sur le rejet du catholicisme et continue sans risque de frapper son cadavre, se garde bien de fustiger l’islam, parce que c’est la religion de ceux qu’elle considère comme les nouveaux damnés de la terre, et parce que des années de propagande anti-raciste ont amené à faire passer la critique légitime d’une religion pour l’expression d’un racisme coupable. Les profs en 2020 sont des gens de leur époque, biberonnés depuis leur naissance à cette bouillie d’individualisme hédoniste et consumériste mêlé d’un antiracisme d’opérette (née dans les années soixante, j’ai moi-même baigné dans ce climat libertaro-gauchiste, et j’ai naïvement arboré à vingt ans la petite main « Touche pas à mon pote » de SOS Racisme… mais les « potes » étaient moins nombreux qu’aujourd’hui et ne défendaient pas furieusement l’idéologie de haine dont on voit maintenant les manifestations brutales). Voilà pourquoi notre École est muette : le confort individuel et la culpabilisation morale expliquent en partie pourquoi les profs face à l’islamisme sont dans le silence, l’aveuglement ou la soumission, aveuglement et soumission soigneusement entretenus par les journaux dits de référence qu’ils lisent unanimement. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans le CDI des établissements scolaires ne figurent à disposition des élèves que ces titres de presse largement consensuels dans leur propagande multiculturelle et dans leur chasse aux « fachos », l’audace politique des documentalistes leur permettant d’aller jusqu’au Figaro pour penser faire contrepoids.
Orientation univoque des manuels et des programmes
Et que dire des manuels scolaires et des programmes, qui n’apprennent pas grand-chose, et surtout pas à aimer la France ? Susciter cet amour, en tout cas en rendre possible l’émergence, me paraîtrait pourtant urgent dans le contexte actuel d’une détestation qui, pour n’être pas unanime, n’en est pas moins toxique et dangereuse. J’ai rarement entendu les collègues d’histoire critiquer les orientations univoques et contestables des programmes qu’ils enseignent. La simple consultation des manuels scolaires révèle pourtant dans l’approche historique la minimisation de tout passé glorieux de la France, quasiment réduite à la pratique de l’esclavage, de la colonisation et de la collaboration. Les cours d’EMC (Éducation Morale et Civique), généralement dispensés par ces mêmes professeurs d’histoire, amènent les élèves à travailler, au mépris de toute réalité de principe et de fait, sur les inégalités inhérentes à la société française, actant par là l’idée que celle-ci repose par essence sur la discrimination de race et de sexe. Tout le monde pourra constater que sont nombreuses à intervenir dans le milieu scolaire les associations militantes LGBT et antiracistes, au rang desquelles l’association d’Assa Traoré, un temps autorisée par l’institution à répandre en banlieue la haine du flic et de l’homme blanc, accusés de violence et de racisme consubstantiels. Beaucoup de professeurs ont intégré ce discours de repentance, porté à l’incandescence par des indigénistes soucieux de faire prospérer leur fonds de commerce victimaire dans l’un des pays pourtant les plus généreux au monde : ils trouvent à leurs revendications une résonance médiatique qui leur octroie un pouvoir de nuisance réel dans une université de plus en plus acquise à leurs causes. Comment, dans ces conditions, alors que l’école et les médias relaient complaisamment cette vision, transmettre aux jeunes élèves l’amour du pays qui les a vus naître ou les a accueillis ? Comment ne pas rendre la France haïssable, en occultant de la sorte les grands hommes et les hauts faits qui constituent aussi son histoire, en la ramenant sans cesse et seulement aux versants les plus sombres de son passé ?
Finalement l’école, par ce type de renoncement, laisse un grand vide dans l’esprit et le cœur des élèves, quels qu’ils soient. Et ce ne sont pas les invocations à la laïcité, réitérées ces derniers jours, qui pourront occuper cette vacance. La laïcité, pur produit de l’histoire française, ne peut être aimée si l’on n’a pas rendu aimable le pays qui l’a inventée. Invoquer la République ne me paraît pas non plus suffisant pour concurrencer les visées de l’islam politique et la place prépondérante de la religion dans les plus jeunes esprits. On sait par un récent sondage qu’environ soixante-quinze pour cent des musulmans de moins de vingt-cinq ans placent leurs convictions religieuses au-dessus des lois de la République. J’ai déjà croisé, dans un lycée qui ne se trouve pas en zone sensible, des élèves dont la seule lecture était celle du Coran ; j’ai aussi le souvenir d’un élève, rétif à toutes les règles imposées en classe, qui m’avait fait comprendre un jour, par un geste sans équivoque vers le ciel, que la seule autorité à laquelle il se soumettait, celle d’Allah, était bien supérieure à la mienne. Le recours aux « valeurs de la République » est inopérant dans un tel contexte. Si un certain nombre d’élèves n’étaient pas Charlie en 2015 et ne le sont toujours pas, c’est parce qu’ils ne se sentent pas Français – et la République n’a pas grand-chose à voir dans cette désaffection : ce n’est pas la République qu’ils n’aiment pas, c’est la France qu’ils haïssent. La République est un mot creux qui recouvre des réalités bien différentes, puisqu’il existe des républiques (islamiques, communistes) qui sont des dictatures, et des monarchies qui sont des démocraties… et sa seule invocation ne peut soulever les cœurs. Qu’y a-t-il de commun entre la Troisième République et la nôtre ? Les hussards noirs de la fin du XIXème siècle auraient bien du mal à reconnaître dans l’école de la Cinquième République la rigueur de leurs exigences et le patriotisme qu’ils étaient censés transmettre. Que peuvent signifier la République et ses valeurs, que peut signifier la laïcité, si leur incantation devient un mantra vidé de substance et déconnecté de l’âme, de l’esprit et de la chair de ce pays ? Il est significatif qu’Emmanuel Macron, lors de l’hommage à Samuel Paty à la Sorbonne, ait insisté sur la création de citoyens par l’École, comme si l’identité française se limitait à une simple appartenance républicaine. Le gavage citoyen sans l’amour de la France, l’adhésion mécanique à des valeurs abstraites sans la transmission d’un génie français incarné, restent des coquilles vides. Mais en tant que professeur, comment transmettre l’amour d’un pays qu’on a soi-même renoncé à aimer ? L’islamisme qui tient lieu de tout peut prospérer dans ce désert des cœurs et des esprits.
Réarmer moralement le pays, désigner l’ennemi
Je n’ai pas rejoint les rassemblements qui ont suivi l’ignoble assassinat du professeur de Conflans. Ma tristesse ne peut faire taire ma colère, vis-à-vis des terroristes bien sûr, mais pas seulement. J’en veux terriblement à tous ceux qui ont pratiqué le déni depuis trente ans, parmi lesquels beaucoup d’enseignants : la gauche qu’ils soutiennent s’est rendue complice en niant les problèmes, dans un mélange d’électoralisme cynique et d’idéologie, tout en réduisant au silence les lanceurs d’alerte par l’accusation de racisme et d’islamophobie. Le sempiternel « padamalgam » entendu après chaque attentat a fait le lit de l’islam radical et couvert sa progression depuis des années. Bizarrement, ceux qui font preuve de la plus grande virulence contre des catholiques inoffensifs ont fait profil bas devant les dérives d’un islam conquérant de plus en plus visible. Que penser de cette gauche qui livre sans scrupule une partie de la population à l’obscurantisme et qui taxe de racisme ceux qui voudraient l’en extraire ?
Il était pour moi hors de question de manifester aux côtés de syndicats enseignants qui, dans les textes de mobilisation envoyés sur nos messageries professionnelles, n’osent toujours pas, encore aujourd’hui, employer le mot « islamisme ». Même Emmanuel Macron martèle désormais ce terme, sans doute pour racheter des années d’élégante pudeur autour d’attentats terroristes dont le pouvoir taisait l’origine, au grand dam d’une importante frange de la population exaspérée d’être la seule à voir et à nommer le mal (espérons que la récente profération présidentielle n’amène pas à différer, voire à remplacer, l’indispensable action politique). Quasiment tous les syndicats évoquent des notions prudemment générales telles que le terrorisme et la barbarie, ou encore le fanatisme religieux, sans nommer la religion qui le promeut ; il faut ainsi combattre les obscurantismes, « quels qu’ils soient », faisant accroire qu’il en est aujourd’hui venant d’horizons divers et variés. Ou comment appeler à lutter contre un ennemi qui n’est toujours pas désigné ! Certains mettent d’ailleurs en garde contre les « amalgames nauséabonds », les discriminations et toute instrumentalisation des « forces réactionnaires », n’ayant toujours pas compris que c’est de ce discours culpabilisant que nous crevons aujourd’hui, puisque l’islam politique utilise le discours victimaire pour museler les oppositions. On n’est pas loin de la formule délétère « Vous n’aurez pas ma haine », qu’on a pu lire après le massacre du Bataclan sur les pancartes ou sur la couverture d’un livre, singulière façon de s’interdire toute réaction face à la haine de l’autre. Ces syndicats enseignants, au nom d’un vivre-ensemble dont on voit tous les jours les effets, cautionnent peut-être l’éloquente et malheureuse expression « Victime de son héroïsme », par laquelle la mairie de Paris a cru rendre hommage à Arnaud Beltrame. On ne s’y prendrait pas autrement si on souhaitait désarmer, intellectuellement et moralement, un pays tout entier. Et je trouve assez indécent qu’on aille ensuite pleurer la mort d’un professeur que trente années d’incurie politique et de castration idéologique ont rendue possible. « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » , fait-on dire à Bossuet.
L’école n’est plus un sanctuaire
Enfin, l’institution scolaire elle-même ferait bien de se regarder en face. Si on a pu porter atteinte à un enseignant, si certains élèves ont pu, moyennant quelques centaines d’euros, le signaler à son futur agresseur à la sortie du collège, c’est que le Professeur a été destitué. Et il l’a d’abord été par l’École elle-même. Dans la mouvance de mai 68 et par un travail de sape qui n’a pas cessé depuis, on a déconstruit la figure du maître : ministres successifs, pédagogistes, syndicats, associations de parents, mus par une même idéologie égalitariste, ont œuvré main dans la main. On a voulu assimiler l’autorité du professeur, pourtant intellectuelle et morale, à un exercice de la contrainte quasi fascisant, et faire de la parole de l’élève, dans un souci d’horizontalité, l’équivalent de celle du maître : puisque tout se vaut, comment s’étonner que beaucoup de jeunes gens aujourd’hui n’établissent pas de différences entre ce qui relève d’un savoir objectif, légitime en tant que tel, et ce qui relève de la croyance ou de l’opinion ? Comment s’étonner, lorsqu’on a donné la parole aux élèves sans leur fournir d’abord les outils linguistiques et culturels pour penser le monde, que règnent l’incompréhension, les malentendus et les préjugés ? Comment s’étonner qu’ils n’aient aucun recul critique sur ce qu’ils sont, sur ce qu’ils croient, ni aucune estime pour celui qui incarne un savoir dévalué ? Si le professeur a perdu son aura, si la verticalité de la transmission a été méticuleusement mise à mal, on a permis au disciple de ne plus le considérer , et par là de déconsidérer et de contester le contenu même de son enseignement. Le respect de principe qu’il suscitait autrefois a disparu, et les enfants comme leurs parents se sentent autorisés à remettre en cause, dénoncer, bousculer, y compris physiquement, organiser des cabales, dans un lieu qui a cessé d’être un sanctuaire. Tout concourait depuis longtemps, dans et par l’École, à un tel effondrement. C’est aussi ce qui a tué Samuel Paty