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Nous devons assurer à chacun sa liberté de croire ou de ne pas croire et de pratiquer le culte de son choix.
Ces derniers jours, deux étudiantes de confession musulmane ont été victimes d’attaques en raison de leur tenue vestimentaire, relançant l’interminable débat sur le voile. Par Mohammed Moussaoui, Président Du CFCM*
*Mohammed Moussaoui, président du Conseil Français du Culte Musulman; président de l’Union des mosquées de France
La première, Imane Boun, étudiante en communication, a lancé un compte Instagram pour proposer des idées de recettes faciles pour les étudiants. Le 11 septembre 2020, une vidéo de BFM TV présentant le site @recettes.echelon7 de l’étudiante qui portait un foulard sur la tête a été postée sur le site Internet ainsi que sur le compte Twitter de la chaîne.
Une journaliste a re-tweeté la vidéo en mentionnant « 11 septembre », faisant allusion au jour anniversaire de l’attentat des Tours Jumelles du World Trade Center à New York en 2001. Cet amalgame a suscité différentes réactions. Certaines défendant l’étudiante, d’autres relayant le message de la journaliste qui serait depuis victime d’insultes et de menaces de mort.
Vouloir établir un lien entre la tenue vestimentaire de la jeune étudiante et un attentat terroriste abject ayant fait plus de 3 000 victimes n’est pas acceptable. De même, les insultes et les menaces de mort à l’encontre de la journaliste doivent être vigoureusement condamnées et leurs auteurs poursuivis.
La seconde, Maryam Pougetoux, est vice-présidente en charge des questions universitaires et des questions de jeunesse du syndicat étudiant UNEF. A l’occasion de son audition, jeudi 17 septembre 2020, par une commission parlementaire d’enquête sur la crise du Covid-19, avant même qu’elle ne prenne la parole, des députés invoquant le principe de laïcité ont quitté l’audition en raison du foulard que l’étudiante portait sur la tête.
Dans le cas d’Imane Boun, nous pourrons invoquer un manque de lucidité et de discernement de la part d’une journaliste à l’égard d’une jeune femme qui n’aspirait qu’à rendre service à ses camarades dans la gestion de leur modeste budget. Vouloir établir un lien entre la tenue vestimentaire de la jeune étudiante et un attentat terroriste abject ayant fait plus de 3 000 victimes n’est pas acceptable. De même, les insultes et les menaces de mort à l’encontre de la journaliste doivent être vigoureusement condamnées et leurs auteurs poursuivis.
Le cas de Maryam Pougetoux nous rappelle la réaction virulente des élus du Rassemblement national au Conseil Régional de Bourgogne-Franche-Comté, le 11 octobre 2019, face à la présence d’une maman voilée accompagnatrice d’un groupe d’enfants de Belfort. Une situation qui avait alors obligé la présidente de la Région à faire un rappel à la loi : « La loi interdit les signes de discrimination dans le milieu scolaire. Elle n’interdit pas les signes de distinction dans l’espace public. »
Si nous remontons un peu plus loin, cette ignorance des lois qui régissent la laïcité, souvent doublée pour certains d’une volonté de faire disparaître le voile de l’espace public, avait aussi touché Latifa Ibn Ziaten lors d’un colloque en décembre 2015 à l’Assemblée nationale. La mère de Imad Ibn Ziaten parachutiste de l’armée française assassiné en 2012 par le terroriste de Toulouse et Montauban, avait été huée puis agressée à la sortie d’une salle de conférences par des personnes aux cris de : « Vous n’êtes pas Française (…) vous ne pouvez pas parler de la laïcité alors que vous portez un foulard, vous faites honte à la France.». Peut-on soupçonner un seul instant Mme Ibn Ziaten de soumise ou de militante au service d’une idéologie à combattre ?
Dans le cas de Maryam Pougetoux, la présidente de la commission d’enquête, Sandrine Mörch, a dû rappeler, elle aussi, le droit : « Aucune règle n’interdit le port de signes religieux pour une personne auditionnée au sein d’une commission. » Avant de poursuivre : « On vous remercie de quitter la salle, on va continuer nos entretiens sans vous, ce sera plus constructif. »
Au-delà des règlements des différentes institutions, la jurisprudence nationale et européenne en matière de laïcité a rappelé à maintes reprises que le principe de neutralité s’applique aux fonctionnaires qui incarnent l’État dans l’exercice de leurs fonctions et non aux usagers du service public. La limitation de la liberté individuelle n’est admissible qu’à condition d’être inscrite dans une base légale. Cette limitation doit être proportionnelle aux impératifs de l’ordre public. La représentante du syndicat étudiant n’avait donc pas enfreint la loi.
De ce point de vue, les députés qui ont quitté bruyamment la salle pourraient être poursuivis pour discrimination à l’égard d’une personne en raison de sa confession, de sa tenue vestimentaire ou de ses opinions.
L’ignorance de la Loi ne saurait être une excuse valable pour des représentants de la Nation qui participent à son élaboration. Le respect de leur devoir d’exemplarité est essentiel pour notre démocratie.
Aux arguments du député Chabert qui proposait en juin 1905 une loi interdisant le port de la soutane dans l’espace public, Aristide Briand, rapporteur de la loi de décembre 1905, avait répondu :
« Au risque d’étonner l’honorable M. Chabert, je lui dirai que le silence du projet de loi (de 1905) au sujet du costume ecclésiastique qui paraît le préoccuper si fort, n’a pas été le résultat d’une omission mais bien celui d’une délibération mûrement réfléchie. Il a paru à la commission que ce serait encourir, pour un résultat plus que problématique, le reproche d’intolérance et même s’exposer à un danger plus grave encore, le ridicule que de vouloir, par une loi qui se donne pour but d’instaurer dans ce pays un régime de liberté au point de vue confessionnel, imposer aux ministres des cultes de modifier la coupe de leurs vêtements. »
Vouloir réduire l’espace de la liberté religieuse à la stricte sphère intime est contraire à la loi 1905, renforcerait le sentiment d’exclusion et doperait les rangs des radicaux.
L’arsenal juridique pour lutter contre le prosélytisme est très complet. Il faut juste l’appliquer et faire confiance aux valeurs qui animent l’immense majorité de nos concitoyens. Il convient de rappeler que selon le Conseil d’État, le port du foulard ne constitue pas, par lui-même, en l’absence de toute autre circonstance, un acte de pression ou de prosélytisme (CE, 27 novembre 1996, n° 170209, publié au recueil Lebon).
Les femmes qui ne portent pas le voile sont libres de leurs choix. Celles qui souhaitent le porter doivent pouvoir le faire en toute liberté, sans limites autres que celles prévues par la loi de la République et les impératifs de l’ordre public.