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C’est souvent pour des raisons « politiques » que les religions émergent à la surface de l’actualité.
Plusieurs exemples significatifs l’illustrent cette semaine : au Mali, en France, aux États-Unis, en Chine, au Liban. Ce qui pose la question plus générale de l’influence de la religion en politique.Religions, laïcité, spiritualité, par Jean-Marie Guénois.
La puissance de la foi dans l’espace politique peut être évidemment une illusion. Tapie aux creux des sociétés, l’imprégnation religieuse peut cependant irriguer une culture à la façon d’une nappe phréatique. Ou se diffuser à l’air libre, à l’image d’un « soft power » ce pouvoir souple et constant, finalement contagieux. La religion peut être également instrumentalisée comme un faire-valoir électoral pour des politiques en manque d’influence. Quand ce n’est pas une religion en mal de reconnaissance qui utilise le politique comme faire-valoir…
Sur nos téléphones portables fonctionnent des applications en mode « par défaut », souvent à notre insu. La comparaison est indigente mais les religions agissent souvent « par défaut » dans les sociétés. Qu’elles soient mises de côté, ignorées, méprisées ou respectées, adulées, récupérées, elles appartiennent à ces rares réalités sociales et métaphysiques marquées par la constance, le temps long qui transcendent les humeurs du moment.
Incontournables, les religions demeurent sur le devant de la scène ou en coulisse, visibles ou invisibles. Mais à quelle place ? C’est toute la question « politique ».
L’actualité de ces jours inspire cinq modèles que vous sont livrés sans prétention de cerner une réalité évolutive et foisonnante.
1) Au Mali et au Liban : L’influence directe de la religion sur la politique
Le président libanais Michel Aoun – / AFP
Notre confrère Tanguy Berthemet est à Bamako au Mali. Il raconte comment l’imam salafiste le plus puissant du pays, Mahmoud Dicko,est devenu, depuis sa mosquée, le grand arbitre politique du pays. On comprend que cet homme fort intelligent, cultivé et avisé, n’est pas tombé de la dernière pluie et que son influence est aussi liée à la qualité de sa personne et à ses talents, mais il n’empêche, voilà un religieux qui tire toutes les ficelles d’un pays en crise. Et où la France est directement impliquée.
Au Liban, le facteur religieux, institutionnalisé avec une répartition des postes de pouvoir attribuées aux confessions religieuses est actuellement l’un des facteurs qui retarde la conclusion d’un accord. Notre confrère Georges Malbrunot l’explique très bien ici.
2) Débat sur le « séparatisme islamiste » en France : L’influence indirecte de la religion
La Mecque, point de mire de la prière des musulmans BANDAR AL-DANDANI / AFP
Nous nous sommes longuement étendus sur le sujet dans la lettre précédente, mais le débat continue sa course. Elle sera longue puisque le texte de loi sur le « séparatisme », s’il était voté, ne le serait pas avant la fin… 2021. Soit quelques mois avant les élections présidentielles du 8 avril 2022.
On en saura vraiment plus le vendredi 2 octobre quand le président de la République annoncera les grandes lignesde son projet de loi. Sur le plan technique, le ministère de l’intérieur, chargé de rédiger une première mouture du texte de loi, commence ses consultations ce samedi 26 septembre. Nous avons aussi publié une très intéressante interview de Gilles Kepel.
J’ai fait le tour des fédérations religieuses musulmanes pour prendre la température. Voici le résultat. Il est intéressant de noter que « les musulmans » à qui l’on prête ici un plan préétabli de conquête religieuse de la France sont une minorité à fomenter une telle illusion. Il y a peu de secrets dans l’islam de France. Sinon les réseaux secrets salafistes ou terroristes qui se gardent évidemment de fréquenter les mosquées officielles.
Tout cela pour dire que « l’influence » politique de l’islam en France est pour l’heure indirecte. Plutôt majoritairement à gauche, cet électorat ne compte pas ou peu dans les élections sinon dans certains quartiers. « Je connais beaucoup de musulmans qui votent aujourd’hui à l’extrême droite, me confiait dépité, cette semaine, un haut responsable musulman, parce qu’ils en ont marre de l’insécurité dans leurs quartiers devenus des plates-formes du trafic de drogue. »
La réalité est que personne aujourd’hui ne « contrôle » l’islam de France à commencer par lui-même. C’est plutôt l’effet de masse, concentré dans des quartiers spécifiques, qui donne ce pouvoir indirect à la communauté musulmane sur le champ politique français. Ce pouvoir indirect est renforcé par l’effet de la terreur qui a été semée par les attentats et qui perdure avec une menace potentielle.
3) USA, Vatican, Chine : L’influence prêtée à la religion
Le président américain en pleine campagne électorale TOM BRENNER / REUTERS
Les relations entre la présidence Trump et le pontificat du pape François sont tumultueuses : avant l’élection du tonitruant président américain, pendant son mandat et à l’occasion de cette campagne électorale. Le pape François ne s’est d’ailleurs jamais privé d’une occasion pour critiquer cette présidence, notamment sur la question des migrations. Donald Trump a souvent répondu, parfois vertement mais il fut reçu par le pape au Vatican en mai 2017.
L’épisode de cette semaine est une attaque du Secrétaire d’État américain Michael Pompeo. Le 18 septembre, il a publié une chronique dans la revue conservatrice américaine, « first things » pour critiquer la perspective de renouvellement d’un accord toujours tenu secret et passé il y a deux ans, entre le Vatican et Pékin, portant sur la nomination commune des évêques catholiques. Le secrétaire d’État américain estimant que loin de « protéger » les catholiques chinois cet accord a semé une « confusion » considérable et dommageable à l’Église catholique. C’est une « ingérence » a rétorqué le Vatican, plutôt irrité, par ses voix officieuses. Mike Pompéo doit venir à Rome le 29 septembre, il aura l’occasion de s’en expliquer directement. Il donnera d’ailleurs une conférence sur « la liberté religieuse ».
En attendant, c’est un cas typique d’instrumentalisation de la religion par le politique. Bien sûr les catholiques chinois sont une préoccupation de l’administration américaine mais cette déclaration a surtout une autre finalité. Elle est un caillou de plus, lancé dans le jardin chinois, dans la guerre d’influence à laquelle se livrent les deux puissances.
Elle est surtout un message politique adressé aux catholiques américains qui sont majoritairement de tradition démocrate mais qui s’interrogent sur la ligne du pape François et qui pourraient se laisser séduire, si ce n’est déjà fait, par un nouveau mandat du président Trump pour promouvoir la défense des valeurs traditionnelles dans le monde que même la papauté ne défendrait plus.
Des exemples similaires abondent dans les pays où les catholiques ont encore un poids électoral certain. Mais les politiques prêtent souvent une influence aux religions qu’elles n’ont pas.
4) Loi sur la bioéthique en France : L’illusion de l’influence du catholicisme sur la politique
Splendeur gothique de la cathédrale de Strasbourg monkographic – stock.adobe.com
Les lois de bioéthiques reviennent dans le débat et l’Église catholique se prépare à pousser un grand cri, début octobre, contre cette évolution législative. Pour la première fois la conférence des évêques a enfin daigné rencontrer officiellement les organisateurs de la manifestation du 10 octobre, un collectif « marchons enfants »notamment animé par « la manif pour tous ». Il était temps.
Les évêques devraient, cette fois, donner de la voix et montrer franchement l’opposition de l’Église catholique à la voie ouverte vers une forme d’eugénisme où l’on finira par choisir les caractéristiques de son enfant sur catalogue et sur fichier également qui porterait ce nouveau né. Mais il est trop tard pour peser. Ce qui ne veut pas dire pour les évêques qu’il faille cesser de se battre.
Mais jusque-là, les évêques, collectivement, – et pas individuellement -, n’avaient pas eu le courage d’une telle rencontre officielle avec ceux qui osaient descendre dans la rue pour dire non. Il ne fallait «diviser» les catholiques en se rapprochant de ceux qui, trop à droite, ou plutôt, pas assez à gauche, défiaient ouvertement le gouvernement avec leurs pancartes contre le mariage homosexuel par exemple puis contre les lois de bioéthiques ensuite. Une aubaine pour le gouvernement qui pouvait balader les évêques à son gré. Ainsi que l’a démontrée l’opération de séduction d’Emmanuel Macron au Bernardins, ouvrant d’un semblant de débat pour mieux foncer, sans dévier, vers les réformes prévues.
Le pouvoir ne recule que s’il se sent menacé. Les catholiques en France, divisés, infantilisés par le cléricalisme, et peu stimulés – jusque-là – par un épiscopat hanté par la peur d’intervenir dans le débat public, ne sont pas dangereux. Vu de l’Élysée, ils n’ont d’ailleurs aucun poids, sinon, à gauche, comme une variable électorale éventuellement utile entre les deux tours de la présidentielle. Or, des religions comme le protestantisme ou le judaïsme, encore plus minoritaires – et dans le même contexte de laïcité – savent, elles, se faire entendre. Cherchons l’erreur.
5) Un livre capital sur l’influence séculaire du christianisme.
Religieuses asiatiques cette semaine sur la place Saint-Pierre FILIPPO MONTEFORTE / AFP
Je viens de lire le livre de Jean-Robert Pitte, ce grand géographe, sur la « planète catholique »publiée chez Tallandier. Je vous le recommande. On comprend comment l’Église a irrigué des sociétés des cultures, une civilisation. Le match catho-protestant, si vous permettez cette expression y est rendu passionnant à travers des faits qui pourraient paraître futiles, le vin par exemple ! J’ai reçu Jean-Robert Pitte dans l’émission que j’anime chaque mois sur KTO, l’Esprit des Lettres, ainsi qu’Étienne de Montéty, directeur du Figaro Littéraire qui présentait son livre sur le drame de l’assassinat du Père Hamel, « La grande épreuve » (Stock) et François Esperet, un ancien catho, père de famille, devenu diacre orthodoxe pour un livre d’une rare profondeur « Ne restons pas ce que nous sommes » (Robert Laffont). Bref, où l’on saisit que l’influence des religions sur les sociétés et la politique utilise des voies inattendues mais qu’elle est certaine. Et qu’elle ne dépend pas forcément du nombre des fidèles.