Mercredi 9 mars, 17 h 30. Dernier acte du procès de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray. La cour d’assises va rendre son verdict. En attendant l’arrivée des juges, il règne une surprenante atmosphère dans la vénérable salle Voltaire du palais de justice de Paris. Les avocats des victimes et ceux des accusés échangent chaleureusement. Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, parle avec chacun des trois jeunes hommes assis dans le box des accusés.

Roseline Hamel, sœur du prêtre assassiné le 26 juillet 2016, elle, se dirige vers les bancs du public pour échanger avec les sœurs de Steven Jean-Louis, un des accusés. Interrogée plus tard sur les raisons de cette démarche, la vieille dame aura cette phrase magnifique : « J’avais besoin d’aller les réconforter. » Une avocate de la défense offre un exemplaire du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry à l’un des accusés. Observant la scène depuis le box de la presse, une journaliste ne peut s’empêcher de murmurer : « C’est peut-être un peu trop, non ? » Comme s’il était temps de sortir d’un procès qui a dépassé l’imagination.

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Un procès « hors norme », a-t-il beaucoup été écrit. Ce n’est pas tout à fait la bonne expression. Les 18 journées d’audience au long desquelles a été examinée la tragédie de cet attentat – le premier assassinat d’un prêtre au cours de la messe depuis la Révolution française – ont respecté scrupuleusement les normes du droit. Mais, de l’avis général, il s’y est passé quelque chose d’inouï. Ceux qui étaient là ont expérimenté quelque chose que l’on peut appeler un état de grâce.

« Je vous salue Marie »

Dès le premier jour, on en a eu une prémisse. L’appel des témoins a révélé que Roseline Hamel en savait plus que la cour sur la volonté d’Aldjia Kermiche de venir à la barre. Depuis plusieurs années, la sœur de la victime et la mère d’un des deux terroristes (ils sont morts le jour même de l’attentat) portent leur douleur « toutes les deux ». Mais c’est surtout au quatrième jour que les débats ont quitté, pour le meilleur, le cours habituel d’un procès criminel.

Guy Coponet, celui qui a survécu par miracle après avoir perdu près de deux litres de sang, a emmené dans un autre espace-temps toutes les personnes présentes à l’audience. Ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, comme l’a dit Me Francis Szpiner, avocat des parties civiles, en référence à un célèbre poème de Louis Aragon, tous ont écouté dans un silence suspendu le vieil homme de 92 ans dire un Je vous salue Marie qui résonnait comme une évidence dans son récit des faits.

Attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, un procès en état de grâce

Il ne faut pas en déduire que ce procès s’est déroulé dans un climat toujours apaisé. Il y eut des moments terriblement éprouvants pour les victimes. Lors de la diffusion de la vidéo enregistrée par Abdel Malik Petitjean pour revendiquer l’attentat qu’il allait commettre avec Adel Kermiche, Roseline Hamel se bouchait les oreilles. En revanche, elle a regardé les clichés du père Hamel mort au pied de l’autel. « Elle voulait voir les dernières photos de son frère », a expliqué un de ses proches. Mgr Lebrun se tenait à côté d’elle, lui tenant la main.

Note de la DRPP

Autre sujet de tension. Les victimes, de bout en bout, ont refusé de se situer sur le terrain de la haine « qui détruit notre humanité, notre liberté et notre fraternité », selon les mots de Roseline Hamel. Cependant, elles ont tout autant refusé de transiger sur leur volonté de connaître la vérité des faits. Afin, a dit Rudy Deleporte, neveu du père Hamel, « que le sacrifice de mon oncle serve à quelque chose ».

Au fil des débats, il y avait de quoi être frappé par le nombre d’occasions manquées par la police et la justice dans la prévention de cet attentat. Des alertes furent lancées par plusieurs des parents concernés, en particulier Aldjia Kermiche, au point qu’elle en est venue au tutoiement avec la commissaire de Saint-Étienne-du-Rouvray. Et surtout, il y eut, quatre jours avant l’attentat, une note de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), identifiant Adel Kermiche comme l’auteur de menaces d’attentat contre une église.

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Cette note est restée sans suite. La DRPP a ensuite tenté de la dissimuler si bien qu’on n’en aurait pas connu l’existence sans une enquête du site Mediapart. Pour les avocats des parties civiles, il a été difficile d’obtenir qu’au moins certains agents de la DRPP viennent s’expliquer à la barre. Ceux qui sont venus ont parlé d’« échec » mais ont refusé de reconnaître une faute. Ce qui a suscité l’amertume des victimes, l’une d’entre elles se disant « écœurée ».

Guerre et jeux de guerre

Dans ces conditions, il devenait plus difficile de faire porter aux trois accusés présents « la somme de nos échecs et de nos petits renoncements », selon l’expression de Me Léa Dordilly, avocate de la défense. Steven Jean-Louis, Farid Khelil et Yassine Sebaihia n’ont pas participé à l’attentat. Ils n’étaient pas non plus poursuivis comme complices mais pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Leur responsabilité était engagée car, en contact avec Kermiche et Petitjean, ils ne les ont pas détournés de la voie sur laquelle ils avançaient ni dénoncés à la police.

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Peut-être s’en est-il fallu de peu pour que ces trois-là aussi passent du côté du pire. Ils se sont laissé happer par la propagande de Daech dont ils s’imbibaient en mélange avec des jeux vidéo. « L’été 2016, a expliqué Yassine Sebaihia, je passais dix heures sur ma console et, entre deux parties, j’allais sur Telegram », la messagerie cryptée utilisée par les réseaux djihadistes. Frontière floue entre deux univers, celui des jeux de guerre et celui de la guerre dans ce qu’elle a de plus atroce. L’instigateur de l’attentat depuis la zone irako-syrienne, Rachid Kassim, s’est fait filmer le 21 juillet 2016, décapitant un otage.

« Ben Laden, ça fait peur ! »

L’isolement était un point commun des trois accusés. Des parents divorcés, une situation d’échec scolaire ou professionnel et une tentative d’échappatoire dans une religion prêchée par « l’imam Google », religion dévoyée par des criminels.

À écouter les récits à l’audience, une idée s’imposait, celle du handicap de l’islam de France en matière d’accueil et d’encadrement. Yassine Sebaihia a dit qu’en allant à la mosquée, il ne s’était pas senti à sa place. « Les fidèles étaient des personnes âgées. Je ne parle pas l’arabe. Je n’ai pas osé poser mes questions. » Aldjia Kermiche a sonné à plusieurs portes pour obtenir de l’aide face à la radicalisation de son fils. « Vous êtes-vous adressée à la mosquée ? », lui a demandé Me Catherine Fabre, avocate du diocèse de Rouen. La réponse a tenu en un mot : « Non. »

Les interrogatoires des accusés ont laissé l’impression qu’ils avaient encore du chemin à faire pour revenir à la réalité de la vie. L’un d’entre eux, Farid Khelil, semblait encore avoir du mal à comprendre ce qu’il y avait de choquant dans le choix de son pseudonyme pour les jeux en ligne, benladen5409. « Dans ces jeux, il s’agit de faire peur ; Ben Laden, ça fait peur ! »

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Le mouvement, du moins, paraît engagé. Depuis bientôt six ans qu’ils sont détenus, les accusés ont un comportement pour ainsi dire irréprochable en prison. Ce qui explique, pour partie, un verdict assez mesuré. Par le jeu des réductions de peine, les condamnés ne resteront plus très longtemps en prison. Il faut souhaiter qu’ils soient vraiment accompagnés à leur sortie. Mais ce procès à nul autre pareil, habité par l’Évangile, les y a préparés. Comme l’a dit Steven Jean-Louis, le dernier jour en remerciant toutes les parties prenantes du procès : « Les jours passés avec vous m’ont marqué. J’ai appris. »

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Un verdict mesuré

Les victimes de l’attentat. Cinq personnes, en plus du père Jacques Hamel, étaient présentes dans l’église Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016 : Janine et Guy Coponet, alors âgés de 86 et 87 ans. Janine Coponet est décédée le 19 avril 2021. Et trois religieuses de la congrégation des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, Jacqueline Decaux, Huguette Péron et Danièle Delafosse, alors âgées de 83, 79 et 72 ans.

Les accusés. Les trois accusés présents au procès étaient poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Ils encouraient une peine de trente ans de prison et ont été condamnés à huit ans de prison pour Yassine Sebaihia (27 ans), dix ans pour Farid Khelil (36 ans) et treize ans pour Steven Jean-Louis (25 ans). Le quatrième accusé, propagandiste de Daech présumé mort en Irak, a été condamné à la perpétuité avec une période de sûreté de 22 ans pour « complicité ».

Les auteurs. Les deux auteurs de l’attentat ont été tués par la police au moment où ils se précipitaient hors de l’église. Ils avaient 19 ans.