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«Nous nourrissons tous les mêmes objectifs, sans doute ; certainement pas les mêmes intérêts ».
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) est régulièrement en proie aux dissensions. L’initiative du 2 novembre à la Grande Mosquée de Paris, organisée hors du cadre de l’instance représentative du culte musulman, dans un contexte où elle est mise sous pression par le gouvernement pour avancer concrètement dans les dossiers afférents à la lutte contre la radicalisation et à la structuration de l’islam de France, en vient de nouveau faire la démonstration.
Des dissensions traversent à nouveau le Conseil français du culte musulman (CFCM)
Des fédérations musulmanes et des mosquées ont signé, lundi 2 novembre, une déclaration visant à dénoncer fermement les attaques visant la France face à la vague de colère qui traverse des pays musulmans, principalement autour de la position prési-dentielle sur les caricatures. Ce soutien moral, affirmé auprès de l’Etat deux jours après la diffusion de l’interview d’Emmanuel Macron sur Al Jazeera , n’est pas le fait du Conseil français du culte musulman (CFCM). Et pour cause : elle n’a pas été associée à la démarche initiée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, qui cueillent les lauriers institutionnels/médiatiques. Depuis la Grande Mosquée de Paris, une nouvelle fronde contre le CFCM s’organise de cette parole forte avec ses alliés figurant parmi les signataires, à commencer par le Rassemblement des Musulmans de France (RMF) d’Anouar Kbibech.
L’initiative cache en réalité très mal les dissensions qui traversent à nouveau le Conseil français du culte musulman (CFCM) ces dernières semaines. Parmi les absents, on note déjà celle du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) et la Confédération islamique Milli Gorus (CIMG), ainsi que Musulmans de France (MF).
Ces trois fédérations nous affirment ne pas avoir été invitées à se joindre à l’initiative. Trop « islamistes » pour les uns, trop « turques » pour les autres, nous dit-on en coulisses : autant dire trop radioactives en ce moment pour les solliciter dans une démarche qui, par ailleurs, constitue une attaque à peine voilée contre la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. « Nous n’avons pas à être des têtes de Turcs », fustige Ibrahim Alci, président du CCMTF.
Mais celui qui a le plus brillé par son absence à la GMP est bel et bien Mohammed Moussaoui, l’actuel dirigeant du CFCM qui préside l’Union des mosquées de France (UMF). Interrogé sur ce point, Chems-Eddine Hafiz a indiqué avoir « personnellement » contacté Mohammed Moussaoui à rejoindre le collectif, sans retour. Le recteur a « déploré » son absence mais il a réfuté devant la presse l’idée d’une « scission » au sein du CFCM, indiquant que cette démarche n’entre « pas en concurrence » avec celles qui pourraient émaner de l’instance dont il est le vice-président. Pourtant, c’est toute autre chose qui saute aux yeux de tout bon connaisseur du dossier.
« Une dynamique est née » face au CFCM
« Cette démarche n’est pas une fin en soi mais le début d’une dynamique et ceux qui se sont retrouvés spontanément sur proposition du recteur de la Grande Mosquée de Paris (…) ont pris l’engagement entre eux de passer à l’action dès la semaine prochaine », a lâché Anouar Kbibech. Elaboration de contre-discours républicains, formation des cadres religieux ou encore financement du culte, « un certain nombre d’actions circulent entre nous », a-t-il avancé.
« Une dynamique est née le 2 novembre 2020, un mois jour pour jour après le discours du président de la République aux Mureaux sur la lutte contre les séparatismes. Vous verrez dans les prochaines semaines et les prochains mois des actions concrètes qui vont émerger de ce groupe de travail, qui a vocation à s’élargir et à intégrer ceux qui ne sont pas forcément autour de la table aujourd’hui », a-t-il fait savoir. Anouar Kbibech et Chems-Eddine Hafiz semblent ainsi bien enterrer le CFCM comme cadre à partir duquel des actions concourant à la lutte contre la radicalisation et à une meilleure structuration du culte musulman en France peuvent être menées.
Mohammed Moussaoui, entre « incompréhensions » et « regrets »
« On ne peut pas dire raisonnablement que j’ai été invité et que je n’ai pas voulu y aller », déclare auprès de Saphirnews Mohammed Moussaoui. S’il admet avoir été contacté « par sms » vendredi 30 octobre « en (sa) qualité de président de l’UMF et non du CFCM » pour l’informer de la démarche, il affirme ne pas avoir reçu copie du document.
Plus encore, Mohammed Moussaoui juge l’initiative de la GMP « incompréhensible » d’autant qu’elle a été organisée après la décision de Chems-Eddine Hafiz de s’absenter, « sans aucune explication », aux deux réunions de travail dédiées à la formation des cadres religieux et la prévention de la radicalisation samedi 31 octobre et dimanche 1er novembre (voir encadré). Ces rendez-vous, auxquels « les fédérations non membres du bureau ont été invitées à participer » (en référence au RMF, absent également), ont été décidés à la GMP, après une réunion du bureau qui a suivi l’hommage des représentants musulmans à Conflans-Sainte-Honorine. « Le fait de rompre cette dynamique de cette manière-là n’est pas un service à rendre à l’islam de France », estime-t-il.
Le président du CFCM regrette aussi une initiative « non posée dans le cadre des réunions du CFCM » qui ne vise qu’à « diviser les initiatives » dans la mesure où « nous nourrissons tous les mêmes objectifs ». Les mêmes objectifs, sans doute ; mais, disons-le, certainement pas les mêmes intérêts, ce qui vient expliquer aussi les blocages sur divers dossiers comme la formation des imams ou l’association du financement du culte musulman avec l’AMIF.
L’envie de se distinguer… et plus encore
La Grande Mosquée de Paris, qui fut longtemps la seule interlocutrice de l’Etat, a dû composer avec l’émergence du CFCM en 2003. Sous la direction de Chems-Eddine Hafiz depuis janvier dernier, elle fait preuve d’un grand activisme pour réaffirmer son leadership sur la scène de l’islam de France et apparaître comme le chef de file musulman le plus crédible dans la lutte contre l’islamisme radical. Voulant chasser l’ombre que fait porter le CFCM sur la GMP et ainsi retrouver pour son institution la place privilégiée qu’il estime être la sienne auprès des pouvoirs publics, Chems-Eddine Hafiz multiplie les rencontres et les actions. L’une des plus remarquées récemment : la rencontre de Gérard Darmanin à la GMP en septembre pour parler du projet de loi contre les séparatismes. Un épisode qui avait passablement irrité des membres du CFCM.
La GMP « veut être sur le même pied égalité que le CFCM, voire même plus encore, et chaque initiative prise par le CFCM est vécue comme une manière de marginaliser la GMP », déclare une source proche du dossier. Du moins tant qu’elle n’est pas à la présidence du CFCM, ce qui n’est prévue qu’en 2022.
Du côté du RMF, son exclusion du bureau du CFCM après la victoire de Mohammed Moussaoui aux élections du CFCM a été vécue comme un affront. Anouar Kbibech est bien décidé à ne pas renforcer le CFCM sous la présidence de son rival et peut désormais compter sur la GMP.
Face à cette situation, il est invoqué en coulisses la responsabilité de Mohammed Moussaoui. L’homme, qui avait lui-même mené une fronde contre le CFCM avant sa victoire aux élections autour du projet de réforme, est décrit par un connaisseur du dossier comme un homme « très compétent » mais qui « ne sait pas travailler en équipe ».
Avancer concrètement sur les dossiers de l’islam de France tout en maintenant l’union au CFCM : deux impératifs qui semblent inconciliables au regard de l’histoire de l’instance, jalonnée de crises internes.
Les positions tranchées de la Grande Mosquée de Lyon
. Alors peut-on imaginer une structuration de la dynamique annoncée le 2 novembre ? Kamel Kabtane, pourfendeur de longue date du CFCM, s’y montre favorable. « Faut-il absolument qu’on ait une seule structure qui soit celle que l’on a aujourd’hui (le CFCM, ndlr), qui est imparfaite et qui a montré ses limites ? », s’interroge le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, qui ne mâche pas ses mots auprès de Saphirnews.
Pour lui, « il est temps de sortir de cette situation et de construire un organe plus efficient » qui puisse prendre en compte les aspirations de la base. S’il salue la prise de distance apparente de plusieurs fédérations vis-à-vis d’un CFCM « incapable d’évoluer », il estime que l’émergence d’une nouvelle « dynamique républicaine » devrait se faire « dans un souci d’avancer et non de régler ses comptes ».
L’initiative du 2 novembre, présentée comme « spontanée » à la GMP, s’inscrit en réalité dans une volonté inavouée pour l’heure par le collectif de se créer l’étoffe d’un interlocuteur crédible pour l’Etat, de sorte à fragiliser, voire même à paralyser, de nouveau le CFCM en tant qu’institution. Un coup qui tombe plutôt mal face à la pression qui est mise sur l’instance par le gouvernement pour obtenir des avancées concrètes sur les dossiers afférents à l’islam de France et à la lutte contre l’extrémisme religieux.
*Contactés par Saphirnews, Chems-Eddine Hafiz et Anouar Kbibech n’ont pas répondu à nos sollicitations.
« Former les cadres religieux de France et lutter contre la radicalisation, une priorité de l’islam de France » qu’a souhaité afficher le CFCM à l’issue de deux réunions de travail organisées samedi 31 octobre et dimanche 1er novembre.
S’agissant de la formation des imams, l’instance a indiqué dans un communiqué « la volonté et la possibilité réelle de trouver un accord sur un cursus commun de formation » qui aura « pour finalité de former les cadres religieux de France en charge de promouvoir, d’une même voix, un islam en France pleinement ancré dans la République ». Quant à la prévention contre la radicalisation, le CFCM déclare vouloir « mener un travail théologique sur les concepts dévoyés de la religion musulmane pour mieux dénoncer leur instrumentalisation par les courants extrémistes » et « de certaines traditions qui dénaturent la pratique religieuse authentique ».
« Partant du constat que les radicalisés, souvent en rupture avec les institutions religieuses, le deviennent essentiellement à travers internet et les réseaux sociaux. Les responsables musulmans doivent s’adapter à cette situation et faire appel davantage aux techniques de communication spécifiques aux jeunes », signifie le CFCM, qui évoque l’idée de créer « des unités chargées de déconstruire le discours extrémiste en associant les imams, les aumôniers et les éducateurs » ainsi que « des conseils religieux aux niveaux local et national » pour « renforcer l’action collective des cadres religieux et donner plus de force à leur parole ».
Face au terrorisme « qui nous touche dans nos chaires par ses manifestations meurtrières et abjectes, nous devons redoubler d’efforts pour le combattre en y associant toutes les forces vives de notre pays ». A commencer par les fédérations musulmanes qui doivent chacune dépasser les querelles de minarets qui minent depuis trop longtemps l’organisation du culte musulman, au détriment d’abord de l’intérêt des musulmans de France.