Sarcastiques, lyriques, véhémentes, les lettres d’écrivains regorgent de formules pleines d’esprit qu’il convient de lire et relire avant de prendre la plume.
Beaumarchais, la Comtesse de Ségur, Flaubert… Tous ces auteurs se sont prêtés à l’exercice de la correspondance. Qu’elles furent adressées à des compères ou à des amours, ces lettres relèvent bien souvent de l’exercice de style. Florilège des tournures les plus charmantes dont vous pourriez avoir besoin pour vos prochaines épistoles.
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• «Lorsque je suis venu, je t’aime est le seul mot que j’ai bien retenu»
A douze ans, rares sont ceux qui s’adressent à leur père de la sorte. En 1854, le poète en herbe Stéphane Mallarmé écrit: «Mon cher papa / J’avais appris un compliment / Et j’accourais pour célébrer ta fête / On y parlait de sentiment / De tendre amour, d’odeur parfaite / Mais j’ai tout oublié / Lorsque je suis venu / Je t’aime est le seul mot que j’ai bien retenu». Il s’agit de la plus ancienne missive retrouvée de l’écrivain.
• «Si je meurs loin de toi, sache bien que tu es ma dernière pensée»
Non, la Comtesse de Ségur, de son vrai nom Sophie Rostopchine, ne cherche pas à culpabiliser son petit-fils Jacques de ne pas lui avoir écrit de lettre pour la nouvelle année. Le 5 janvier 1871, voyant la mort approcher, celle qui s’est inspirée de sa propre enfance et de celle de ses petits-enfants pour rédiger ses ouvrages écrit à son «petit chéri», dont elle n’a plus de nouvelles, qu’elle l’aime, «avec Dieu», de tout son cœur.
• «J’attends mon sort du premier regard qui suivra la lecture de cette lettre»
Derrière ces mots de Lamartine se cache une supplique. Celle de prendre place au sein du cœur de l’être aimé. L’auteur fait partie de ceux dont la correspondance livre une ôde aux amours enflammés, passionnés. Deux ans après la mort de sa muse Julie Charles, en 1817, il prie sa future conquête, Mary Ann Birch, dont il espère alors gagner l’amour, de ne pas «juger» – moquer, comprenons-nous – sa déclaration. «Je ne pouvais plus me taire», écrit Lamartine.
• «Tu ne saurais te figurer les idées noires que me donne ton silence»
L’attente… Quoi de plus cruel? Si la formule s’applique en diverses circonstances, c’est en amour qu’elle prend tout son sens. Le 24 juin 1824, Stendhal remet une missive à Clémentine Curial, fille de son amie la comtesse Beugnot, sa nouvelle maîtresse. Il espère recevoir quelques phrases tendres avant de partir en voyage. C’est ainsi qu’il prend la plume pour exprimer son chagrin. Nul doute que sa dulcinée eût été touchée si celui-ci n’avait écrit, pour finir: «Que t’en coûtait-il de m’écrire un mot?».
• «Je suis embarquée dans la vie sans mon consentement»
Cette réplique a de quoi faire comprendre à son correspondant que l’on déclinera toute invitation de sa part. Épistolière notable du XVIIe siècle, Madame de Sévigné est connue pour ses témoignages de la vie à la cour de Louis XIV et pour ses lettres passionnées envoyées à sa fille, Madame de Grignan. Dans celle du 16 mars 1672, elle offre une réflexion sur la vie, la mort, empreinte de lucidité. Fataliste, révoltée, elle écrit: «Je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène que par les épines qui s’y rencontrent.»
• «Quel mauvais goût que de parler toujours de soi!»
Flaubert était surnommé «vieux Troubadour» par George Sand et «bien cher Maître» par Maupassant. Le 25 avril 1879, il livre à sa nièce Caroline une des ses célèbres bougonneries, et déplore l’existence de ceux qui n’ont de cesse de se regarder le nombril. L’une des caractéristiques de son personnage Madame Bovary, notamment.
• «On n’est malheureux que par sa faute»
«Ce sera toujours mon texte et ma réponse à vos lamentations», écrit en 1705 Madame de Maintenon, dans une lettre pleine d’optimisme adressée à son frère. Celle qui a le don de n’envisager la vie que du bon côté le réprimande de ne pouvoir vivre sans projets de richesse, sans ambition, malheureux en somme. «Nous avons le nécessaire et le commode ; tout le reste n’est que cupidité. Tous ces désirs de grandeur partent du vide d’un cœur inquiet», lui fait-elle savoir.
• «J’ai une envie de vous gronder étonnante»
Propos licencieux, s’il en est. Nul besoin de le relire pour en comprendre le sens. Décembre 1787, le marquis de Sade, père du libertinage, offre un exemple parfait de l’alliance entre maniement des mots et démonstration exacerbée des sentiments dans une lettre codée, d’apparence courtoise, envoyée à son épouse qu’il se languit d’étreindre. Ainsi put-elle lire:
«J’ai une envie de vous gronder étonnante, cette manière dont
vous enfiler qui ne dit mot est affreuse et en vérité…». Arrêtons-nous ici…
• «Je ne voudrais pour rien au monde que ce sujet me soye soufflé»
Avis aux écrivains aspirants. Avril 1932, le médecin Louis Ferdinand Destouches, connu sous le nom de Louis-Ferdinand Céline, envoie à Gaston Gallimard le manuscrit de Voyage au bout de la nuit, son premier roman qu’il a mis cinq ans à écrire. Dans ce langage parlé qui est le sien, il donne le ton: «C’est du pain pour un siècle entier de littérature. C’est le prix Goncourt 1932 dans un fauteuil pour l’Heureux éditeur qui saura retenir cette œuvre». L’une de ces deux affirmations est erronée, à vous de retrouver laquelle.
• «Voilà quelqu’un que j’aurais plaisir à connaître»
Voici qui fait plaisir à lire. Le 16 juillet 1982, après avoir lu une lettre du réalisateur belge André Delvaux adressée au producteur Philippe Dussart, Marguerite Yourcenar répond à celui qui désire adapter son roman L’OEuvre au noir. Elle lui fait part de son émotion et de ce qu’elle pense du projet – abouti en 1998, près de dix ans après la mort de l’académicienne -. «Je me rends bien compte qu’un livre transposé dans une autre forme d’art est en quelque sorte éclaté. C’est acceptable, et même parfois exaltant, lorsque l’esprit essentiel de l’œuvre ainsi délivrée subsiste et sert d’aliment», écrit-elle.
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